« L’essentiel, à
présent, n’est pas non plus de faire preuve de précocité dans mes peintures,
mais d’être moi-même un homme ou tout au moins le devenir. L’art de maîtriser
la vie est la condition préalable à toutes formes d’expressions ultérieures,
qu’il s’agisse de peintures, de plastiques, de tragédies ou de morceaux de
musique.
Il me reste non
seulement à maîtriser la vie par la pratique, mais aussi à la représenter
intérieurement de façon convaincante, pour pouvoir occuper une position aussi
solide que possible. Que ceci ne saurait s’accomplir au moyen de quelques
directives, mais tend à croître comme le fait la nature, voilà qui est
clair. » (in Journal, p. 143)
« Toi l’individu
qui ne sers à personne, toi l’inutile ! Sache te créer des fins
utiles : joue, illusionne-toi toi-même et les autres, sois artiste. Or,
tant d’illusoires utilités traînent autour de nous, que choisir fait souffrir.
Les voyageurs sur les chemins de l’art ressemblent diablement aux voleurs de
grand chemin. » (in Journal, p.
146)
« A la fin, de
nouveau Naples, maintenant telle une silencieuse semence de lumières, à mes
pieds. Ô intarissable pêle-mêle, les déplacements de plans, le soleil sanglant,
la profonde mer semée de voiles inclinées. Matière sur matière, au point qu’on
pourrait s’y dissoudre. Être homme, être antique, naïf et rien, pourtant
heureux. Pour une fois, à titre d’exception, de jour de fête. » (in Journal, p. 177)
« Celui-là trouve
son style qui ne peut autrement, c’est-à-dire qui ne peut faire autre chose. Le
chemin qui mène au style : gnoti
seauton. » (in Journal, p.
249)
« Sans doute
pourrait-on, un jour, mettre au compte de la dépense en énergie la jouissance
de la progression artistique, puisque le chemin de la délivrance, par moments,
est semé d’épines. Calme et inquiétude en tant qu’éléments alternés de la
manifestation picturale. » (in Journal,
p. 256)
« Tout dépend de
la volonté et de la discipline. De la discipline l’œuvre dans son ensemble, de
la volonté l’œuvre dans ses parties. Volonté et capacité ne font qu’un, qui ne
saurait pouvoir, ne saurait vouloir.
L’œuvre s’achève
ensuite à partir de ces parties en vertu d’une discipline visant à
l’ensemble. » (in Journal, p.
258)
« Un artiste qui,
indépendamment de la production de ses œuvres, fournirait des éclaircissements
à leur sujet, ferait preuve d’une médiocre confiance en lui-même. » (in Journal, p. 269)
« L’ambiance me
pénètre avec tant de douceur que sans plus y mettre de zèle, il se fait en moi
de plus en plus d’assurance. La couleur me possède. Point n’est besoin de
chercher à la saisir. Elle me possède, je le sais. Voilà le sens du moment
heureux : la couleur et moi sommes un. Je suis peintre. » (in Journal, p. 309)
« Abstraction.
Le froid romantisme de
ce style sans pathos est inouï. Plus ce monde (d’aujourd’hui précisément) se
fait épouvantable, plus l’art se veut abstrait, tandis qu’un monde heureux
produit un art porté vers l’ici-bas. » (in Journal, p. 328)
« Mon ardeur est
davantage de l’ordre des morts et des êtres non nés. La manière passionnée de
l’humain fait sans doute défaut à mon art. Je n’aime pas d’un cœur terrestre
les animaux et l’ensemble des êtres. Je ne me penche point sur eux ni ne les
élève à moi. Bien plutôt je me fonds d’abord dans la totalité et me trouve
ensuite à un niveau fraternel par rapport au prochain, par rapport à tout
voisinage terrestre. Le terrestre le cède chez moi à la pensée cosmique. Mon
amour est lointain et religieux. Toute tendance faustienne m’est étrangère.
J’occupe un point reculé, originel de la Création, à partir duquel je
présuppose des formules propres à l’homme, à l’animal, au végétal, au minéral
et aux éléments, à l’ensemble des forces cycliques. Des milliers de questions
cessent comme si elles étaient résolues. Là ni doctrine ni hérésie. Les
possibilités sont infinies et la foi en elles vit, en moi, créatrice.
De la chaleur
émane-t-elle de moi ? De la froideur ? Il n’en est pas question
là-bas, au-delà de l’incandescence. Et parce que le grand nombre ne saurait y
atteindre, rares sont ceux qui puissent en être touchés. Nulle sensualité si
noble fût-elle ne me permet d’établir un contact avec un plus grand nombre.
L’homme dans mon œuvre ne représente pas l’espèce, mais un point cosmique. Mon
regard porte trop loin et presque toujours à travers les plus belles choses.
“Il n’est pas capable de voir même les choses les plus belles”, dit-on souvent
de moi.
L’art est un symbole
de la Création. Dieu ne se soucia point des stades fortuitement actuels. »
(in Journal, p. 339-340)
Epitaphe inscrite sur la tombe de
Paul Klee et de sa femme dans le cimetière de Schlosshalden.
ICI REPOSE LE PEINTRE
PAUL KLEE,
NE LE 18 DECEMBRE 1879,
MORT LE 29 JUIN 1940.
ICI-BAS
JE NE SUIS GUÈRE SAISISSABLE
CAR J’HABITE AUSSI BIEN CHEZ LES MORTS
QUE
CHEZ CEUX QUI NE SONT PAS NÉS ENCORE,
UN PEU PLUS PROCHE
DE LA CRÉATION QUE DE COUTUME,
BIEN LOIN D’EN ÊTRE JAMAIS ASSEZ PROCHE.
TRADUCTION : Pierre
KLOSSOWSKI
Oh! Je dois faire venir ce livre... je savoure toutes tes citations et je vais même en faire partager sur mon mur. La dernière sur son ardeur me chavire. MERCI!
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