samedi 1 mars 2014

Le guide

Francisco de Goya, Le Chien, 1819-1823


Je marche le long d’une route déserte ; çà et là, quelques rares maisons sont établies à flanc de montagne. Il y a des tas d’éboulis en plusieurs endroits : la pierre blanche et calcaire contraste avec le vert cru de l’herbe.
Au loin, un imposant château profile sa silhouette. Les prés alentours sont vides : les paysans sont partis. Quelques corbeaux croassent dans leur robe noire ainsi que des moines bénédictins qui donneraient une messe à ciel ouvert.
Je chemine sur cette route de terre depuis plusieurs jours, épuisé. Mon ventre gronde sous l’effet de la faim ; ma bouche est sèche comme du bois brûlé. En vain je guette une quelconque présence humaine.
Des trottinements résonnent sur les cailloux du chemin. C’est un chien immense qui s’avance vers moi en remuant la queue : sa taille est égale à celle de deux hommes forts. Arrivé à ma hauteur, il me renifle, me lèche le visage et s’allonge afin que je monte sur son dos. Mettant de côté mes craintes, les yeux rougis par la fatigue, je grimpe sur son dos en m’accrochant à ses longs poils blancs.
Le chien avance lentement pour ne pas me brusquer. Je m’écroule de fatigue et tombe dans le sommeil comme une lourde pierre au fond d’un lac.
C’est le bruit du vent dans les arbres qui me sort de ma torpeur. Des nuages noirs s’amoncellent à l’horizon ; le ciel devient une immense soute à charbon. De la grêle vient fouetter mon corps fatigué. Pour m’abriter, je me recroqueville dans les poils drus du chien.
Celui-ci semble imperturbable comme un rocher au milieu d’une tempête.
Il se met alors à courir et je m’accroche plus fortement à lui. Le grand chien blanc monte dans une forêt où les feuilles nous protègent quelque peu du déluge. Après quelques foulées, mon regard vient buter sur le château qui se trouve désormais à quelques mètres de nous.
Le chien s’avance, tranquille, jusqu’à la porte lourde et massive. Celle-ci semble s’ouvrir comme par enchantement. Le chien pénètre dans le château et me conduit dans une grande salle illuminée de flambeaux. C’est alors qu’il se couche et me laisse descendre.
Une fois à terre, je me retourne : le grand chien blanc a disparu comme avalé par les murs. Une table est dressée au centre de la pièce. Des mets en abondance y sont alignés. Je mange jusqu’à ce que mon ventre n’en puisse plus. Je ne me suis jamais senti aussi comblé.
Une lumière ocre et vive flotte au-dessus du château comme un bouclier : le ciel noir ne peut franchir cette enceinte.
Dans une cour remplie de fleurs éclatantes, se trouve une fontaine au doux chant. Je plonge mon visage dans l’eau et je suis lavé de tout : du passé, de mes souvenirs, du présent, de l’avenir…
Je bois l’eau fraîche qui coule en moi à la manière d’un baume. La lumière croît autour du château, emplit l’espace. Je ne savais ce que je cherchais dans mon errance et je viens de le trouver : c’est cet abri miraculeux au sein de la tempête.
Mû par une volonté inconnue, je suis allé vers cette lumière cachée. Elle m’a englouti comme une mère recueille un enfant au creux de ses bras. Je suis sauvé.


© Thibault Marconnet

15/11/2013

1 commentaire:

  1. C' est métaphorique comme un conte de Lewis Carol , chien blanc , lapin blanc, repas qui fait grandir, toujours l' épopée de l' homme qui doit avaler, ne pas avaler, éviter d' être avalé...

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