mercredi 5 mars 2014

Les mannequins de Munich (Sylvia Plath)

Odilon Redon, Le vitrail, dit aussi Le jardin mystérieux, 1905


La perfection est atroce, elle ne peut pas avoir d’enfants.
Froide comme une bourrasque de neige, elle colmate les entrailles

Là où les cyprès sifflent comme des hydres.
L’arbre de vie, l’arbre de vie

Libère chaque mois sa lune, en vain.
Le flux de sang est flux d’amour,

Sacrifice absolu.
Cela signifie : il n’y aura d’autre idole que moi,

Moi et toi.
Alors, pris à leur charme sulfureux, leurs sourires,

Ces mannequins font ce soir leur révérence
A Munich, morgue entre Paris et Rome,

Nus et lisses sous leurs fourrures,
Sucettes juchées sur un bâton d’argent,

Insupportables et sans cervelle.
La neige déverse ses lambeaux de ténèbre,

Il n’y a personne alentour. Dans les hôtels
Des mains doivent ouvrir des portes,

Déposer pour qu’on les lustre au cirage noir
Des chaussures où enfouir demain de larges orteils.

Oh l’ennui de ces fenêtres casanières,
Ces dentelles de bébé, ces feuilles de houx en sucre,

Ces gros Allemands qui dorment dans leurs chopes toujours pleines.
Et ces téléphones noirs accrochés à leur clou

Et qui scintillent
Et qui scintillent et qui digèrent

Le silence. La neige n’a pas de voix.


Odilon Redon, Silence, 1900


 © Sylvia Plath

(in Ariel, p. 92-93)



Sylvia Plath et son sourire comme une virgule de lumière

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