dimanche 2 mars 2014

Le foyer de l'âme

Thibault Marconnet, Autoportrait rouge, 2013

Les véritables amis n’essayent pas de se changer l’un l’autre, de se façonner tels qu’ils le désirent ou de se regarder ensemble comme en un miroir. Respectueux de leurs ombres et de leurs lumières respectives, ils ne s’étouffent pas. La grande et belle amitié a lieu lorsque les personnes sont des individus au sens plein du terme, c’est-à-dire qu’elles sont indivisibles, qu’une unité se trouve en leur centre. Être indivisible, cela revient à comprendre sa valeur intérieure, l’or ardent qui luit au fond de soi. Celui qui a compris cela ne cherche pas à se faire valoir au détriment de l’autre en tentant de se l’assimiler. Et qui essaierait d’avaler cet être indivisible, ce calme brandon, s’y brûlerait atrocement la gorge au contact du feu serein qui l’habite au plus profond.
La maîtrise de soi est le seul symbole de virilité qui vaille. Plaignez donc tous ceux qui ne sont pas capables de cette musculature de l’âme. Car ils vocifèrent en croyant parler, sont confus en pensant être clairs et s’infirment en se targuant de s’affirmer. C’est en s’éloignant de leurs rives qu’ils croient y accoster. Ils sont si exilés d’eux-mêmes ! Leurs aboiements ne font que protéger une maison imaginaire car il ne demeure en eux que les poutres pourries d’une amère frustration. Avant que d’allumer un feu plein et élancé qui puisse écarter les peaux de l’obscurité, il faut s’être muni de bois mort et posséder une sûre expérience de soi-même. Tous ces êtres dont les mots ne sont que copeaux de bois vert ! qui font du fracas autour d’eux par peur de n’être pas assez remarqués. Ce sont gens de la démesure qui ne parviennent pas à habiter en eux-mêmes.
La vraie confiance est impassible et n’a rien à prouver. Or il est tant de donneurs de gages ! Chacun cherche un logis et les plus à plaindre sont ceux qui vivent dans un logement immatériel dont les murs chimériques sont prêts à s’évanouir et à disparaître en un clin d’œil. Mais la maison n’est pas tout, encore faut-il que l’on y puisse vivre. Que de masures aux fondations éventrées ! La plupart d’entre nous ne faisons, au cours de nos vies, qu’essayer de consolider difficilement la charpente moisie à l’aide de bric et de broc. Mais des fondations sûres et inébranlables ne sont pas la seule garantie : combien de superbes demeures privées de vie ! Même dans les lieux les plus souverains, il faut sentir l’étoffe rassurante de la chaleur. Et où la trouver s’il n’est aucune cheminée pour y faire rugir un feu superbe comme une crinière de lion caressée par le vent ?
C’est alors qu’il vous faudra creuser en vous-mêmes pour y créer un âtre capable d’endurer n’importe quelle chaleur. Et plus vous percerez la pierre dans la confiance de vous-mêmes, plus les parois seront résistantes.
Si vous parvenez un jour à habiter dans cette puissante maison dont la cheminée n’attend plus que les agiles flammes, il ne vous restera plus qu’à trouver le bon combustible. Mais souvenez-vous que le bois vert ne vaut rien à l’envolée des rouges flammes, ces flamboyants coquelicots aux cœurs de cendres. Alors vous toucherez votre visage de parchemin sur lequel frémira encore la course des ans et vous comprendrez que seul le bois mort peut marier son corps au baiser brûlant du feu. Et, cette pensée tombant en votre esprit comme une enclume, vous vous éteindrez. Mais les braises rougeoyantes qui resteront de vous n’auront plus qu’à attendre le souffle qui vous exaucera enfin dans la vie éternelle. Car vous aurez préparé patiemment le foyer pour accueillir l’étreinte du feu vivant. 


© Thibault Marconnet

28/06/2010

4 commentaires:

  1. C'est bon lire ça. Ça met du feu dans la cheminée comme le chante si bien Jean-Pierre Ferland. Magnifique poète de chez nous.

    Je reviens chez nous

    Il a neigé à Port-au-Prince
    Il pleut encore à Chamonix
    On traverse à gué la Garonne
    Le ciel est plein bleu à Paris

    Ma mie l´hiver est à l´envers
    Ne t´en retourne pas dehors
    Le monde est en chamaille
    On gèle au sud, on sue au nord

    Fais du feu dans la cheminée
    Je reviens chez nous
    S´il fait du soleil à Paris
    Il en fait partout

    La Seine a repris ses vingt berges
    Malgré les lourdes giboulées
    Si j´ai du frimas sur les lèvres
    C´est que je veille à ses côtés

    Ma mie j´ai le cœur à l´envers
    Le temps ravive le cerfeuil
    Je ne veux pas être tout seul
    Quand l´hiver tournera de l´œil

    Fais du feu dans la cheminée
    Je reviens chez nous
    S´il fait du soleil à Paris
    Il en fait partout

    Je rapporte avec mes bagages
    Un goût qui m´était étranger
    Moitié dompté, moitié sauvage
    C´est l´amour de mon potager

    Fais du feu dans la cheminée
    Je reviens chez nous
    S´il fait du soleil à Paris
    Il en fait partout
    Fais du feu dans la cheminée
    Je rentre chez moi
    Et si l´hiver est trop buté
    On hibernera

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  2. C' est un très beau texte, j' aime bien transformer ma maison en " auberge de jeunesse à la bonne étoile", ça va, je te pardonne d' avoir comparé Dieu à un clodo ivrogne :)

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  3. L'autoportrait est de toi, non? J'aime beaucoup...ton texte aussi, très beau...

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