mercredi 29 juin 2016

Pascal Bouaziz, portrait d'un caméléon en chanteur



Pascal Bouaziz n’en finira pas de nous étonner. Après le corrosif et misanthropique album de sa nouvelle formation Bruit Noir, paru en 2015 – un régal d’humour noir et d’autodérision –, le fondateur de Mendelson nous revient avec des “haïkus” bien personnels. Ici, pas de sensation d’oppression ou d’étouffement, comme ce pouvait être le cas pour le long morceau de presque 55 minutes intitulé “Les heures” ; et qui occupe à lui tout seul le deuxième disque du triple album “Mendelson” paru en 2013. Avec “Haïkus”, Bouaziz respire plus amplement et prend son temps pour nous accompagner dans son univers poétique.

Il a voulu tomber le masque et se présenter à nous en toute simplicité, « honnêtement » comme il le dit lui-même lors d’un entretien accordé à France Culture le 17 juin 2016, pour l’émission “Poésie et ainsi de suite”. Et plutôt que de nous parler comme il sait si bien le faire, avec cette voix caressante et feutrée même lorsqu’elle énonce des horreurs, Pascal Bouaziz a décidé de chanter. D’ailleurs, « chanter est façon d’être nu » ainsi que le suggère Jean-Louis Murat dans les paroles de “Chanter est ma façon d’errer”. Au cours de cet entretien radiophonique, Bouaziz explicite ce besoin de se “découvrir” : « Dans les hétéronymes ou dans les pseudonymes, il y a des manières d’être beaucoup plus libre, de dire les choses beaucoup plus crûment et beaucoup plus fortement ; on a recours au pseudonyme pendant longtemps pour s’aider à advenir à soi-même, à être soi-même. Et, au bout d’un moment le pseudonyme tombe de lui-même, comme si le masque qui nous aidait à être sur scène devenait trop collant sur la peau et qu’on avait envie de l’arracher pour pouvoir respirer plus librement. » « Take the blue mask down from my face and look me in the eye », dixit Lou Reed. Au moins, une chose est sûre et certaine, Pascal Bouaziz ne fera jamais d’album avec Metallica (petit clin d’œil au morceau “Joy Division”, qui figure dans l’opus de Bruit Noir).

En quelques touches, Bouaziz nous offre à voir des paysages intimes issus du quotidien. Son écriture s’est adoucie : elle semble à présent effleurer les choses et les êtres, les caresser même. Et bien que parfois il « embrasse une joue qu’il préférerait arracher », il nous reste au moins le « miracle de la vie civilisée » pour éviter de s’entre-dévorer les uns les autres. De lycanthrope, Bouaziz ne s’est pas fait doux agneau pour autant. Çà et là son ironie affleure, comme le sourire d’un homme fatigué qui a malgré tout « encore envie de vivre. » Et ça, c’est une très bonne nouvelle !
Bruit Noir dressait le constat d’un dégoût viscéral du monde tel qu’il va, le tout contrebalancé fort heureusement par un humour irrésistible. Avec “Haïkus”, les barres HLM sont tombées pour laisser la place à un monde où, même « avec la peur ancienne, nouvelle et éternelle » collée au ventre, il est possible de « rester dans la lumière » ; ce qui est peut-être même indispensable.
Et Bouaziz de se laisser presque aller à « croire en l’être humain ». Autant dire que nous sommes bien loin de l’univers sombre et terrible de la chanson “Le sens commun”, qui figure sur “Personne ne le fera pour nous”.
La couverture de l’album “Haïkus” semble évoquer une espèce de gros bloc de bitume, que l’on imaginerait volontiers lancé à toute volée dans la vitrine d’une réalité amère et dégueulasse. À moins qu’il ne représente la réalité elle-même. En ce cas, il suffit parfois d’apposer par-dessus un tampon rond et doré pour adoucir un peu la violence de notre monde.

Dans la suite de l’entretien donné sur France Culture, Pascal Bouaziz évoque le parlé-chanté :

« Le parlé-chanté, ça vient du fait qu’on ne peut pas chanter n’importe quoi sans être ridicule. Il y a des chansons qui doivent être parlées-chantées, et donc éloigner le lyrisme, l’enthousiasme qui est forcément impliqué par le chant ; même la volonté de faire joli qui est une très belle préoccupation. Et il y a certains textes qui ne peuvent pas s’embarrasser de cette préoccupation parce que ce serait malhonnête. Le chant, ça peut être malhonnête. Il faut faire attention avec le chant. Je cite souvent cet exemple de Brel : dans une chanson que j’aime beaucoup, qui s’appelle “Ces gens-là”, il y a tout le début où il fait la description d’une famille et il ne peut pas la chanter cette description, il la dit. Et c’est seulement à la fin, quand il rêve de sa vie future, imaginaire et impossible avec son amour Frida que, là, il se laisse aller au chant dans une sorte d’espérance lyrique. Pour la description très noire et très crue de cette famille catastrophique – la famille de Frida –, il ne peut pas le faire et c’est tant mieux qu’il ne le fasse pas. On ne peut pas tout chanter. Et là, en l’occurrence (concernant l’album “Haïkus”), c’est des chansons qui pouvaient être chantées, donc ça me faisait très plaisir de pouvoir me laisser aller à chanter des choses. Le chant est un plaisir très sensuel, c’est presque impudique d’en parler. »

Il y a des choses qui sont faites pour être chuchotées, et ce sont « les plus belles ». Peut-être aussi « les plus simples », si l’on en croit Gabriel Yacoub. Après le bruit vient le chuchotement des choses. Et le silence qui suit est d’or, bien entendu.

Pascal Bouaziz, « Haïkus », Ici D’ailleurs, 2016.


© Thibault Marconnet

le 29 juin 2016







Pascal Bouaziz © Emmanuel BACQUET

lundi 27 juin 2016

✟ Adieu Dantec... ✟







Schizotrope, - réunion du musicien de l'électronique Richard Pinhas (fondateur de Heldon) et de l'écrivain Maurice G. Dantec -, est un projet musical axé autour de textes du philosophe Gilles Deleuze. L'album “Le Plan” (dont est issu ce morceau) a paru en 1999. D'autres écrits viennent se greffer à l'opus de Schizotrope, comme ici le poème qui ouvre le roman “Les Racines du mal” de Maurice G. Dantec. 
Les photographies qui illustrent ce morceau sont des prises de vues différentes d'une seule et même oeuvre de l'artiste contemporain Anish Kapoor : “Untitled”, 2002 (Polished stainless steel and lacquer).

Photographies : Thibault Marconnet

Electronics, voice : Maurice G. Dantec
Guitare : Richard Pinhas

[Texte : Maurice G. Dantec]

Dans le Bus des ténèbres
tout le monde disparaît
sans laisser plus de traces
que des pas dans la glace.
Dans la Maison des Miroirs
même les ombres supplient qu'on les tue
de peur de voir ce qu'il y a en face.
Le monde est le cauchemar
d'un champignon qui rêve d'étoiles et d'ordures.
Nos rêves sont des livres en feu
mais nos chemises sont raidies par la glace.
Nous pissons contre des vitrines vides
où un mannequin solitaire nous regarde.
Nous sommes des machines de viande
déjà prêtes pour l'abattoir.
Mais le soir, quand le soleil décline
sur l'horizon en feu,
nous barbotons comme des gosses
dans la lumière et nous essayons 
de percer les secrets de notre condition.
Parfois il nous arrive même de saisir
la nuance entre la vérité et le mensonge.



Maurice G. Dantec