Pascal
Bouaziz n’en finira pas de nous étonner. Après le corrosif et misanthropique
album de sa nouvelle formation Bruit Noir, paru en 2015 – un régal d’humour
noir et d’autodérision –, le fondateur de Mendelson nous revient avec des
“haïkus” bien personnels. Ici, pas de sensation d’oppression ou d’étouffement,
comme ce pouvait être le cas pour le long morceau de presque 55 minutes
intitulé “Les heures” ; et qui occupe à lui tout seul le deuxième disque
du triple album “Mendelson” paru en 2013. Avec “Haïkus”, Bouaziz respire plus
amplement et prend son temps pour nous accompagner dans son univers poétique.
Il
a voulu tomber le masque et se présenter à nous en toute simplicité,
« honnêtement » comme il le dit lui-même lors d’un entretien accordé
à France Culture le 17 juin 2016, pour l’émission “Poésie et ainsi de suite”. Et
plutôt que de nous parler comme il sait si bien le faire, avec cette voix
caressante et feutrée même lorsqu’elle énonce des horreurs, Pascal Bouaziz a
décidé de chanter. D’ailleurs, « chanter est façon d’être nu » ainsi
que le suggère Jean-Louis Murat dans les paroles de “Chanter est ma façon
d’errer”. Au cours de cet entretien radiophonique, Bouaziz explicite ce besoin
de se “découvrir” : « Dans les hétéronymes ou dans les pseudonymes,
il y a des manières d’être beaucoup plus libre, de dire les choses beaucoup
plus crûment et beaucoup plus fortement ; on a recours au pseudonyme
pendant longtemps pour s’aider à advenir à soi-même, à être soi-même. Et, au
bout d’un moment le pseudonyme tombe de lui-même, comme si le masque qui nous
aidait à être sur scène devenait trop collant sur la peau et qu’on avait envie
de l’arracher pour pouvoir respirer plus librement. » « Take the blue
mask down from my face and look me in the eye », dixit Lou Reed. Au moins, une
chose est sûre et certaine, Pascal Bouaziz ne fera jamais d’album avec
Metallica (petit clin d’œil au morceau “Joy Division”, qui figure dans
l’opus de Bruit Noir).
En
quelques touches, Bouaziz nous offre à voir des paysages intimes issus du
quotidien. Son écriture s’est adoucie : elle semble à présent effleurer
les choses et les êtres, les caresser même. Et bien que parfois il
« embrasse une joue qu’il préférerait arracher », il nous reste au
moins le « miracle de la vie civilisée » pour éviter de
s’entre-dévorer les uns les autres. De lycanthrope, Bouaziz ne s’est pas fait
doux agneau pour autant. Çà et là son ironie affleure, comme le sourire d’un
homme fatigué qui a malgré tout « encore envie de vivre. » Et ça,
c’est une très bonne nouvelle !
Bruit
Noir dressait le constat d’un dégoût viscéral du monde tel qu’il va, le tout
contrebalancé fort heureusement par un humour irrésistible. Avec “Haïkus”, les barres HLM sont tombées pour
laisser la place à un monde où, même « avec la peur ancienne, nouvelle et
éternelle » collée au ventre, il est possible de « rester dans la
lumière » ; ce qui est peut-être même indispensable.
Et
Bouaziz de se laisser presque aller à « croire en l’être humain ». Autant
dire que nous sommes bien loin de l’univers sombre et terrible de la chanson
“Le sens commun”, qui figure sur “Personne ne le fera pour nous”.
La
couverture de l’album “Haïkus” semble évoquer une espèce de gros bloc de bitume,
que l’on imaginerait volontiers lancé à toute volée dans la vitrine d’une
réalité amère et dégueulasse. À moins qu’il ne représente la réalité elle-même.
En ce cas, il suffit parfois d’apposer par-dessus un tampon rond et doré pour
adoucir un peu la violence de notre monde.
Dans
la suite de l’entretien donné sur France Culture, Pascal Bouaziz évoque le
parlé-chanté :
« Le
parlé-chanté, ça vient du fait qu’on ne peut pas chanter n’importe quoi sans
être ridicule. Il y a des chansons qui doivent être parlées-chantées, et donc
éloigner le lyrisme, l’enthousiasme qui est forcément impliqué par le
chant ; même la volonté de faire joli qui est une très belle
préoccupation. Et il y a certains textes qui ne peuvent pas s’embarrasser de
cette préoccupation parce que ce serait malhonnête. Le chant, ça peut être
malhonnête. Il faut faire attention avec le chant. Je cite souvent cet exemple
de Brel : dans une chanson que j’aime beaucoup, qui s’appelle “Ces gens-là”,
il y a tout le début où il fait la description d’une famille et il ne peut pas
la chanter cette description, il la dit. Et c’est seulement à la fin, quand il
rêve de sa vie future, imaginaire et impossible avec son amour Frida que, là,
il se laisse aller au chant dans une sorte d’espérance lyrique. Pour la
description très noire et très crue de cette famille catastrophique – la
famille de Frida –, il ne peut pas le faire et c’est tant mieux qu’il ne le
fasse pas. On ne peut pas tout chanter. Et là, en l’occurrence (concernant
l’album “Haïkus”), c’est des chansons qui pouvaient être chantées, donc ça me
faisait très plaisir de pouvoir me laisser aller à chanter des choses. Le chant
est un plaisir très sensuel, c’est presque impudique d’en parler. »
Il
y a des choses qui sont faites pour être chuchotées, et ce sont « les plus
belles ». Peut-être aussi « les plus simples », si l’on en croit
Gabriel Yacoub. Après le bruit vient le chuchotement des choses. Et le silence
qui suit est d’or, bien entendu.
Pascal
Bouaziz, « Haïkus », Ici D’ailleurs, 2016.
© Thibault Marconnet
le 29 juin 2016
Pascal Bouaziz © Emmanuel BACQUET |
Oui, Chris, tu vas voir, on va bien finir par convertir nos lecteurs à ce merveilleux album ! 😄 Merci beaucoup pour ton commentaire qui fait chaud au coeur.
RépondreSupprimerJe découvre à peine le bonhomme. Pas vraiment une tranche de rigolade, ce disque. J'aime beaucoup l'accompagnement musical, très sobre, très sombre (une seule lettre de différence !)
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