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Djalāl ad-Dīn Muhammad Rūmī |
« Élève tes mots, pas le son de ta voix. C’est la pluie qui fait pousser les fleurs et non le tonnerre. »
Djalāl ad-Dīn Muhammad Rūmī
Cher
Rūmī,
Peut-être
es-tu auprès de tes frères derviches à tournoyer dans la nuit du vin et le feu
de la danse pour célébrer la musique des planètes et la ronde des atomes. Quoi
qu’il en soit, je t’espère en paix. Ici, les ennemis de l’Homme continuent de
tuer et d’éclabousser le soleil de sang. Apôtres de la destruction, leur seul
véritable cri de ralliement est : « Vive la mort ! » Ils ne
savent même pas qui tu es, quels furent ta sagesse et ton amour, toi le maître
soufi, l’homme de paix, le poète du cosmos et le chantre du divin en l’Homme.
Que tu sois du XIIIe siècle importe peu : un vivant tel que toi ne meurt
pas. Je ne sais où cette lettre te parviendra, sur quelle route poussiéreuse et
sous quelle lune, mais je fais confiance aux étoiles d’où nous provenons
tous : elles sauront l’acheminer jusqu’à toi.
Un
écrivain grec du XXe siècle et que tu ne connais peut-être pas, Níkos Kazantzákis,
a écrit quelque part : « Nous humanisons Dieu au lieu de déifier
l’Homme. » Voilà qui devrait trouver résonance en toi. À l’heure où je
t’écris, beaucoup de peuples vivent dans la peur, la douleur et la peine car
les assassins sans foi rôdent et sèment la mort partout où ils le peuvent. Tu
dois certainement avoir le cœur déchiré face à une telle ignominie. Le mystique
Hallâj, que tu admirais, avait déjà été condamné à mort en son temps parce
qu’il avait proclamé en place publique : « Je suis la Vérité (Dieu) ! »
Superbe intuition de poète, qui a su relier le Ciel à la Terre dans la compréhension
que le créateur et la créature ne font qu’un ! Et la poésie, fille sauvage
et libre qui se rit de tous les dogmes religieux, sera toujours une insulte
pour ceux qui aiment détruire. Car elle est, au sens le plus ancien, l’acte de
créer par excellence.
Vénérable
Rūmī, si je m’adresse à toi c’est pour te remercier de tous ces fruits de
beauté, toutes ces semailles de lumière que tu as prodigués à tes frères et
sœurs en humanité. Pour ma part, je ne suis pas croyant mais je suis pour la
liberté de chacun à vivre pleinement sa foi. Et je suis fatigué, assommé par
les adversaires de l’humanité qui prennent plaisir dans le meurtre de leurs
semblables. Pour parler vrai je me moque bien qu’il y ait ou non des dieux, car ce que je sens au plus profond de ma chair c’est que l’Homme doit retrouver,
ici et maintenant, sa place au centre du Soleil.
La
paix soit sur toi, cher prince des poètes et digne fils des étoiles.
Puisse-t-elle
également régner un jour en nos cœurs meurtris.
Fraternellement,
je te salue.
Thibault
© Thibault Marconnet
le 20 novembre 2015
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« Le Cantique des oiseaux » d’Attar – « Sceau salomonique », vers 1645 |