Le Voyage au phare de Virginia Woolf, fait partie de ces ouvrages
précieux qu’on referme avec la sensation d’avoir caressé de la soie du bout des
doigts, effleuré un rayon de lumière étendu sur le blanc virginal du papier.
La lecture de ce livre
ne “déflore” rien de l’aura lumineuse et obscure contenue au sein de ces pages.
On ne sait plus où
l’on est : dans une salle à manger où se croisent des regards comme autant
de paroles muettes ; devant un chevalet face à la mer argentée, avec une
peinture qui n’en finit pas de nous questionner, hachée çà et là de quelques maigres
taches de couleurs ; dans une embarcation qui glisse sur l’eau comme une
plume pleine d’encre noire avec laquelle s’écrirait une histoire particulière
et universelle à la fois, etc.
“L’œil jaune” de ce phare
semble éclairer la scène d’un théâtre antique où se joue le drame de passions
refoulées qui déchirent le corps et tourmentent l’âme.
Le Voyage au phare, c’est le récit de cette équipée fébrile que
chacun de nous mène au cours de son existence de terre ; cette faible
lumière qui scintille en chaque être ; ce nimbe étrange enfilé sur les uns
et les autres comme un grand manteau de nuit.
Ce phare, c’est tout
ce qu’on imagine de soi et des autres. C’est un grand point noir d’interrogation
qui ne livre pas de réponses.
Nous méconnaissons
fondamentalement les êtres qui nous entourent, pareils à des phares silencieux
et éteints que l’on ne peut atteindre au cœur dans leur proche et lointaine
présence.
Naviguant avec nos
yeux d’aveugles, nous nous brisons contre les récifs du silence et de
l’inconnu.
Il nous est rarement
donné de voir l’autre dans une partie de sa plénitude : nos mains ne
peuvent saisir que des miettes.
Il nous faut donc
accepter la distance infranchissable qui nous sépare tous.
Virginia Woolf nous
montre des êtres perdus en eux-mêmes et qui tentent désespérément de se
comprendre les uns les autres.
Mais à peine s’éclaire
une bougie, qu’un vent chargé de pluie vient aussitôt l’éteindre.
Ces êtres de papier –
qui nous ressemblent tant au fond –, semblent ne pas pouvoir se toucher, comme
séparés par une fine enveloppe de verre, cloîtrés dans leur chair tremblante
d’amour, en quête d’une impossible union.
Le Voyage au phare est un miroir de nos vies, tour à tour claires ou
opaques.
Et ce phare, figé dans
son isolement et dans les rêveries qu’il suscite, est peut-être le symbole de
la mort.
Une fois parvenus au
terme de notre excitant voyage rempli de promesses, il se peut que nous nous
disions : « Au fond, ce n’était que ça, ce grand rêve ? »
C’est oublier que l’essentiel
ne réside pas sur les rives d’où nous partons ni le long de celles que nous
atteignons.
L’essentiel se situe
dans le mouvement précaire et passionnant de toute traversée.
© Thibault Marconnet
24/11/2013
Odilon Redon, Bateau avec deux personnages, 1908 |
C'est terrible..j'ai découvert Virginia Woolf avec une pochothèque classiques modernes.. un format sur lequel on peut se répandre et choisir.. j'ai tout bu. Les toiles que tu y ajoutes sont sublimes... un bail que je suis aller trainé du côté d'Odilon et Virginia.
RépondreSupprimerMerci pour ce mariage.