« Les premières à mourir ce sont les
vaches. »
C'est par cette phrase énigmatiquement belle que
s'ouvre Vaches, précieux petit livre
irrigué de lumière.
J'ai lu cet ouvrage de Frédéric Boyer en
m'imprégnant du lait de chaque mot, comme une prière qu'on rumine, un cantique
d'herbe qu'on roule patiemment entre sa langue et ses dents.
Ce petit opuscule, mystérieux à plus d’un titre,
porte en lui le goût des larmes, la virgule de lumière des francs sourires.
Dans une soixantaine de pages comme autant de
poèmes en prose, Frédéric Boyer interroge notre humanité, le poids de la
conscience qui pèse sur nos crânes.
Il dépose au plein jour notre incapacité à vivre
dans la pure présence, cela même qui nous mord le cœur et nous déchire l’âme.
Les vaches sont les carmélites de l’herbe. Elles ne
prient pas, elles broutent. Elles n’attendent rien, elles sont. Elles veillent
sur les champs, gardiennes d’un secret inconnu aux hommes. Leurs cloches sonnent
à toute volée des messes joyeuses, à ciel ouvert. Ont-elles un dieu ?
Alors ce ne peut être que le soleil, ce frère de chaleur qui, de ses pis, les
arrose du doux breuvage de sa grande mamelle rouge. Je n’ai jamais lu plus
belles pages sur ces épouses des prés, ni croisé de regard plus doux qu’en
leurs yeux d’innocentes.
« Les vaches ont des robes pleines de ronces
et de fleurs et de poudre des champs. Elles ne savent rien de l’exception de la
vie terrestre sous les étoiles. Rien de l’exception de notre vie banale dans
l’univers féroce toujours plein de notre cruelle errance avec dans la prairie
tant de victoires perdues.
Comment expliquer l’impression qu’elles donnent
d’être traversées par la vie même? d’avoir une puissance identique à la vie?
Cette vie nue dans les champs. Cette vie sans propriétés. Ce corps immense et
lourd et patient des vaches.
L’injustice des paysages rend si inquiétante dans
sa quiétude temporelle la gratuite existence sans appel, sans justification des
vaches.
Les vaches aimaient s’asseoir dans le soleil et
s’arroser de poudre des champs, s’asperger de poussière des talus, s’envelopper
de fines particules d’insectes bourdonnants. » (p. 9-10)
Pour pasticher le poème en prose de Baudelaire,
intitulé “L'Etranger”, j'en reprendrais la fin, après la dernière question
posée à l'étranger :
« – Eh! qu’aimes-tu donc, extraordinaire
étranger?
– J’aime les vaches... les vaches qui paissent
là-bas... là-bas... les merveilleuses vaches! »
© Thibault Marconnet
26/01/2013
Eugène Louis Boudin, Vaches près de la mer, 1892 |
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