- Bonjour, Monsieur,
excusez-moi.
- Ici on ne s’excuse
pas.
- Ah… Pardon.
- Ici, on ne pardonne
pas.
- C’est embêtant…
- Ici on n’embête
personne.
- Comment dire…
Avez-vous de la musique ?
- Que
dites-vous ? De la ?
- Musique. De la musique.
- Non, ici on n’a pas
ça.
- Auriez-vous de la
poésie ?
- Que voulez-vous
dire ?
- Vous savez, c’est la
première parole de l’Humanité. La parole créatrice.
- Ici, on n’a pas
d’humanité. Ici, on ne crée pas.
- Décidément… Et des
peintures ? En avez-vous ?
- De la peinture en
bâtiment, oui.
- Ah… Mais c’est que
je cherchais autre chose.
- Que
cherchiez-vous ? Ici, on ne cherche pas.
- Je cherchais des
tableaux de peintres.
- Pour quoi
faire ?
- Eh bien, pour le
plaisir.
- Ici, ce mot est
banni.
- Bon. Pour l’émotion
alors.
- Ici, on n’émeut pas.
L’émotion, c’est réactionnaire. Ici, rien que des gens bien comme il faut. Pas de vagues.
L’émotion ne sert à rien. Il faudra vous en passer.
- Mais si je pleure,
si je ris, si j’ai mal, si j’ai peur ?
- Ici, on n’accepte rien
de tout cela. Vous êtes en retard de plusieurs siècles.
- Mais pourtant, hier
encore…
- Hier n’existe pas.
On n’était pas là. Rentrez-vous ça dans le crâne.
- Et des livres
d’Histoire, en avez-vous ?
- Qu’est-ce que c’est
encore que ça ?
- L’histoire des
hommes.
- Ici, on n’est pas des
hommes.
- L’histoire des
hommes et des femmes alors.
- Ici, on n’est ni
l’un ni l’autre.
- Mais qu’êtes-vous
alors ?
- Ici, on n’est pas.
- …
- Alors, que puis-je
pour vous ?
- Je ne sais plus. Je
ne sais pas.
- Ici, on sait tout.
- Comment ça ?
- On sait tout tout
tout tout tout.
- Tout sur quoi ?
- Tout sur tout.
- Mais si vous n’avez
rien qui rassemble l’émotion humaine ?
- Ici on n’a pas
besoin de ça. L’émotion, c’est pour les faibles. Ici, on est des forts.
- Qu’est-ce que vous
savez alors ?
- Ici, on ne sait pas.
- Mais vous venez de
me dire le contraire !
- Ici, on n’est pas
contraire. Il faudra vous y faire.
- Vous allez me rendre
fou !
- Ici, on n’a pas de
fou.
- Aidez-moi à sortir
de ce cauchemar !
- Ici, on n’aide pas.
- Mais vous n’avez
donc rien à me donner ?!
- Si.
- Quoi donc ?
Dites !
- Du vide. Ici, on n’a
même que ça.
Thibault Marconnet (Ici, on ne signe pas)
02/01/2014
On se sent quand même bien ici, alors même si ici on ne commente pas, on ne va pas en rester là!
RépondreSupprimerScio me nihil scire.
RépondreSupprimerPeut-on considérer qu'une stratégie bâtie autour du vide est possible ? Dès lors qu'il y a stratégie, est-on encore dans le vide ?
RépondreSupprimerJe chipote, bonne base de réflexion, merci.
Et pourtant, de ma vision c'est une stratégie qui est mise ne place dans nos sociétés. Je n'ai jamais vu autant de monde qui sont affamés de toute les manières inimaginables. Il y a un petit livre de Paul Auster, l'éloge de la faim qui est pas mal. Enfin. La stratégie du vide est bien présente, tout en faisant croire qu'il ne faut jamais avoir faim. Bon il y a le vide magnifique aussi, celui qui remplit mais c'est une autre histoire. Ce texte est loin d'être vide. Magnifique. Il est vrai que tu est mûr pour publier. Je te le souhaite.
SupprimerVotre texte, dans sa remarquable simplicité, possède un sursaut de révolte, auquel je suis loin d'être indifférent.
RépondreSupprimerL’inextricabilité de ce «Monsieur» donne le vertige! C’est une toile vaine que celle-là qu’il nous tend, de soi à lui. Car, il en craint les extrémités d’où proviennent précisément nos différences propres.
Qu’elles lui échappent, et il est perdu. Vous le voyez, son oeil, autant que ses réponses n’ont de cesse de loucher. Du moins, cherche-t-il ainsi à nous happer, à sa mode, dans une cartographie du vide.
Eh quoi! Avec un rien de chance, on oubliera même jusqu’à la palette de sentiments nobles que nous offrait le ciel… Quoique pragmatique et calculateur, le philistin aura toujours peur que le ciel lui tombe sur la tête.