Witold Gombrowicz |
Quelle vigoureuse
ironie est celle qui s'échappe de Ferdydurke
de Witold Gombrowicz !
Il saisit le “moderne”
au col et ne le lâche plus jusqu'à ce que celui-ci se soit regardé dans un
miroir pour contempler avec effroi tout son ridicule.
Le “moderne”, ce
pourfendeur servile et bien-pensant d'un monde qu'il juge archaïque, n'est en
fait qu'une ombre d'être, et encore ! plutôt l'ombre d'une ombre, c'est
tout dire !
Le “moderne” ne
déteste rien tant que la réalité dans ce qu'elle a de plus étrange et il entend
bien tout aplanir, accéder à la transparence absolue, tout polir, tout niveler
par le bas.
Dans ce livre
inclassable, Gombrowicz fustige – et avec quelle prescience ! –,
l’infantilisation dans laquelle nous sommes dès lors englués jusqu’au cou.
Il assène une gifle
retentissante sur la joue flasque de l’homme moderne : cet être “sympa” au
sourire béat, qui assume son inanité avec une grande indulgence envers
lui-même ; ce génial “enfonceur de portes ouvertes” ; cet être
insipide et dépourvu de tout sentiment de grandeur, inaccessible au doute, à
l’angoisse métaphysique.
En somme, le moderne
est celui qui sait que la partie est gagnée d’avance ou bien, plus simplement,
qu’elle n’a pas à être jouée.
Witold Gombrowicz,
pour notre malheur et notre grand plaisir de lecteur, nous dresse le portrait
de jeunes gens voués au culte du corps et qui singent bêtement les adultes.
Avec en face d’eux,
des simulacres d’adultes désespérément gâteux qui parodient les jeunes gens et
leur vouent une idolâtrie pathétique.
Gombrowicz nous
annonce une société où l’adulte en aura assez d’assumer sa responsabilité de tuteur,
sa lourde tâche d’être pensant. Il déchire le rideau d’une société tout entière
dédiée à l’adolescence, à la médiocrité, à l’oubli, à la petitesse, à la
reptation servile.
Les marchands
d’œillères vont faire des choux gras. Amnésiques, faites vos vœux, rien ne va
plus !
Le narrateur va se
charger d’être un grain de sable dans cette machinerie trop bien huilée.
Il va, peu à peu,
instiller un poison dans la conscience débile des fantômes d’êtres qu’il
côtoie : le poison de la lucidité.
Ferdydurke n’est pas sans m’évoquer Le
livre du rire et de l’oubli de Milan Kundera – et surtout la Sixième partie
du récit, intitulée Les anges, et dans laquelle l’héroïne, Tamina, se retrouve
sur une île remplie d’enfants, qui semblent à première vue plutôt innocents
mais qui vont faire vivre un véritable cauchemar à la jeune femme.
Il n’y a pas
d’innocents : ce livre de Gombrowicz le clame avec force. Quelques êtres
habitués, revenus de tout, inconsistants et dérisoires peuplent ce roman furieusement
ironique.
Après tout, l’ironie
n’est-elle pas en quelque sorte l’énergie du désespoir ?
Cet ouvrage
désespérément drôle façonné par l’auteur de La
Pornographie, m’évoque également la douleur d’être vu tel que l’on n’est
pas.
Je repense aux
derniers mots du livre : « Courez après moi si vous voulez. Je
m’enfuis la gueule entre les mains. »
Tout entière tournée
vers le refus, cette œuvre tente de sauver ce qui peut encore l’être : le
rire ; l’implacable rire de celui qui n’a plus rien à perdre.
“Ferdydurke”, ce mot
qui ne veut rien dire, je pourrais lui donner le sens de “nullement”.
“Vous avez cru me voir
tel que je suis réellement ?”
“Nullement !”
Vous m’avez vu tour à
tour comme un être grandiose ou misérable et vous n’y étiez pas.
Je ne suis ni l’un ni
l’autre. J’échappe à vos nomenclatures étriquées.
Et pour que vous ne me
“dévisagiez” plus, “je m’enfuis la gueule entre les mains.”
© Thibault Marconnet
18/12/2013
Leszek Żebrowski,
Theaterpkakat, Ferdydurke
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Quelle critique alléchante, je me le mets de côté celui là!
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