samedi 8 février 2014

Grasse terre

William Turner, The Angel standing in the sun


« Avance, et supporte
l’échec et la question,
fidèle à ton unique sentier. » 
Martin Heidegger




Je t’attends, pyromane des lendemains,
Que ton souffle enflammé
Puisse faire de fiévreuses contorsions
À ces corps oubliés dans la glace.

Par ces lèvres, qui ne connaissent plus la parole,
Tu craches un feu plus dévastateur que tous les bûchers
Et observe ton ouvrage brûlant,
Tout en venir au silence et la cendre voler.

La terre ne s’imprime plus sous mes pas.
- Parce que tu ne sais plus de quoi elle s’engendre.
Le ciel m’est invisible.
- Parce que tes yeux sont perdus dans le flot des images.
Le soleil ne réchauffe plus ma peau.
- Parce que sa chaleur n’a plus de nid à féconder.
Je ne puis plus respirer en cet air.
- Parce que ton souffle est vain.
L’océan ne m’accueille plus, et il déborde à mon approche.
- Parce que le sel de l’eau t’a repoussé.
J’ai peur de marcher en pleine lumière.
- Parce que tu crois que tu t’y rendras visible
Alors que le plus sûr abri se trouve au centre du soleil.
Le feu m’effraie bien que je le veuille toucher.
- Parce que tu veux tout attirer à toi, effacer la moindre dissension.
N’aie crainte, tu as déjà commencé d’organiser sa disparition,
Tu l’as mis sous verre, tu en as fait une représentation de feu ;
Plus rien ne peut roussir en ce monde.

Le dernier homme a dit dans le vacarme alentour :

Qu’on laisse le sable couvrir mes empreintes
Qui les cherche n’aura qu’à les inventer.

Et personne ne l’a entendu.

Il est des pierres qui portent mon regard
Comme on garde contre soi le choc du premier soleil.
Dit-on mortes ces roches que je les sens trembler,
Labourer le sol qui les contient.

Laissez nous le secret
Pour naviguer le long des eaux qui s’embrasent
De lumière.

Que la parole puisse se nicher dans mon être
Et jaillir de par ma bouche : ouverte une fois,
Ne sera plus jamais totalement refermée.

Par mon ventre se brassent des énigmes
D’infimes plaies ou de blanches cicatrices.
Sous le sein jaillissent des fièvres naissantes
Des désirs de chairs, de celles que l’on déchire à pleines dents
Et qui viennent nourrir l’insatiable forge ;
De ces peaux qu’on lape à pleine langue,
Dedans lesquelles on s’immisce
En serpents nourriciers.
Voilà mon écume qui lèche la rive
Avec une joie toute mêlée de larmes,
Comme la mer balaie la plage ;
Et les grains de sable sont autant de vers luisants
Encore tout humides,
Qui se meurent de ne pouvoir gagner l’horizon.

Qu’on m’étende dans des draps de feu.
Que flambent les entraves de ma conscience
Car il me faut retrouver la brûlure,
M’oindre des alcools qui tisonnent la langue ;
Me faire plus insaisissable que la fumée,
Errer telle une brume à la silhouette des herbes.

Qu’on me donne le silence enfin,
Que je puisse t’y reconnaître
Et refluer en toi.
Il se peut que je te croise là-bas
Au plus lointain de ta caverne
Parmi les eaux tièdes
Où naviguent des goélands.
Qu’est-ce donc qui les anime ?
Est-ce leur subsistance ?
Peut-être sont-ils à la recherche de la mort
Et pour n’en plus revenir.

Écoute ces voix rouillées qui apostasient les êtres,
Sans cesse à la vie renoncer.
Mendieras-tu ce lointain sceptre
Qui te fait invaincu des ombres du passé ?
Tu sauras ce que c’est que la chair
Quand tu l’auras oublié.
Tu dormiras dans le creux d’une femme
Lorsque la terre t’aura avalé.

Et si les entrailles rouges du profond désert
T’attirent en elles : prie dans le silence de ton âme.
Tu y trouveras de quoi régénérer la glaise qui t’habite.
Ces êtres qui viennent cherchent en vain leurs pères
Et cognent leur front aux marbres des cryptes.
N’écoute plus l’écho des chutes sans fond.
Tu es venu embrasser et c’est le froid qui t’enserre.
Fais frémir dans les flammes ce fardeau lourd comme le plomb.
Lâche la main des fantômes : tu fus un fruit pour ces vers.
Ils ne peuvent en toi crier que si tu leur délaisses ton nom.

Tu demeureras plaie ouverte,
Front pesant, cœur amer
Et si tu acceptes la vie qui t’est offerte :
Fécond comme grasse terre.


© Thibault Marconnet
17/01/2010


Paul Klee, Femme en pleurs

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire