Caspar David Friedrich, Le Moine au bord de la mer, 1808-1810 |
À Friedrich Nietzsche
« Celui qui est
parvenu, dans une certaine mesure, à la liberté de la raison n’a pas le droit
de se sentir sur terre autrement qu’en voyageur, – non pas cependant pour un voyage vers un but dernier ;
car il n’y en a point. Mais il se proposera de bien observer et d’avoir les
yeux ouverts à tout ce qui se passe réellement dans le monde ; c’est
pourquoi il ne peut attacher son cœur à rien de particulier ; il faut
qu’il y ait toujours en lui quelque chose du voyageur, qui trouve son plaisir
au changement et au passage. »
Friedrich Nietzsche
(in « Humain, trop humain »).
Le sang des pierres
s’effrite en copeaux
sur les lignes d’ébène
de la main.
Le quartz des lumières
liquides, inassouvies, s’écartèle sous notre peau.
Des roches nues
jaillissent les soleils froids,
compagnons de nos
ombres tièdes ;
dans les jours qui
s’enfantent de nos insomnies.
Le ventre est encore
électrique
de la transpiration des
herbes.
Les courbes du vent se
cabrent dans le blé naissant.
Nos bouches titubent de
mots anciens ;
antiques temples de
sommeil,
livrés à l’acidité des
pluies de lamelles grises.
Ce que nous donnions à
la parole, nous l’avons repris,
et dans le murmure
intact,
nos âmes vont sur le
circonflexe des volcans.
Nos langues gelées,
habitées d’abîme,
ruissellent de silence.
Nous étions pleins
d’inutile,
et, comme on s’emplit
les yeux d’eau et de lumière,
nos carcasses vont, pures.
Les cheveux de la mort
et du mouvement des astres
s'enchevêtrent dans le
ciel.
Les nuages, comme des
nerfs de chevaux fous,
s’enlisent sur
l’horizon.
Des silhouettes de
linceul,
recroquevillées sur
leurs carnes honteuses,
sortent des cimetières
comme on va au tombeau.
Le sol exsude ses
premières offrandes.
Nous étions coagulé de
sacrifice et de repentir.
Qui oserait nous
reconnaître à ce moment précis,
alors que tous nos
pores, comme des électrons, saturent de vie ?
Ainsi que l’on va,
juteux de rêves
dans les derniers
sables du délire ;
nous voilà, nus,
repartis dans l’écorce
familière des plaines délaissées.
La grêle et ses aumônes
de givre
nous ont le visage
barbelé tant et plus
qu’aucun miroir ne peut
désormais
nous donner des
pamoisons de Narcisse.
Nous laissons le
châtiment à ceux qui veulent encore en jouir.
Nous n’avons à expier
de rien.
Nous sommes charbonneux
de soleil.
Des blocs de chairs
s’étirent dans le monde lépreux
qui contemple ses
vieilles idées
comme l’on ergoterait
dans une pissotière
du devenir des oiseaux
de braise.
Le mot peut remplacer
le fouet.
Dans les vieilles
tristesses aux cauchemars cachetés,
plus aucun ressac
n’agite les natures dociles.
Et comme la mer passe
au-dessous des plaies remplies de sel,
un tigre est en elles
qui devient chat blessé.
Quand en aura-t-on fini
de panser les rêves au moyen de ronces ?
Nous sommes fruits de
l’errance immobile ;
artères et entrailles
de puissance.
Nous n’avons plus à
satisfaire la patience.
Nous ne pouvons nous
détourner des fièvres qui suintent du Cosmos.
Un tremblement sinue
dans la poitrine que rien ne fera taire.
Nous prétendons à
l’existence.
© Thibault Marconnet
28/03/08
Paul Klee, Deux dromadaires et un âne, 1919 |
Friedrich, sa toile est sublime, elle va bien avec tes mots.
RépondreSupprimerComme tu as su percevoir l' amertume désespérée de cet expatrié du ciel, je suis impressionnée par la force de tes images.
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