Pierre Bergounioux est
un écrivain hanté.
Les fantômes qui le
peuplent sont ceux de la brande millénaire ; cette brande qui siffle sous
les assauts d’un vent pareil au bélier défonçant les lourdes portes d’anciennes
forteresses.
Car ce sont des ruines
que le paysage Limousin avale dans sa gueule noire ; les ruines d’un monde
ancien, rural, où la “parlure” avait encore un sens précis pour les hommes et
les femmes de ces terres désertées.
L’écriture de
Bergounioux a partie liée avec la minéralité, le végétal et l’animal.
Avec Un peu de bleu dans le paysage, celui-ci
nous conte par une grande force d’évocation, la longue litanie des vies
brisées ; le destin de ces êtres engendrés par l’acidité des tourbières et
qui s’y retrouvent embourbés jusqu’au cou ; “ces animaux pensants” qui
ploient sous le joug d’une condition à laquelle ils ne peuvent échapper.
Car la voix ancestrale
de la terre, le sang qui goutte en leurs veines, ont leurs propres lois
implacables.
Le verbe de Pierre
Bergounioux convoque des statues de sel ; des “femmes de Loth” qui
tournèrent un temps leur visage vers un avenir espéré, jusqu’à ce que la violence
du vent vienne leur cingler la face pour les faire regarder en arrière – et les
pétrifier.
Son récit intitulé Millevaches – situé à mi-parcours du
livre –, m’a tout particulièrement saisi.
Pour m’y être rendu
par le passé, j’ai pu retrouver – dans les pages que Bergounioux y consacre –, cette
atmosphère si particulière de “chambre mortuaire” ; cette solitude boisée
qui emplit l’être et vous dépouille, vous dépossède, vous lave de tout :
de votre nom, de votre histoire, du passé, du devenir, etc.
Cette expérience me
fut si intense que je ne savais qu’en dire : le silence me tenait lieu de
mémoire.
Bergounioux a su
former une bouche afin qu’une mince parole puisse témoigner de cette “pièce
luxueuse tendue de brocart vert” battue par les vents et l’humidité.
Flotte au-dessus de
ces tourbières un vaste silence, qui se dépose comme les ailes grises d’un
oiseau immense et mythique.
Au Plateau de
Millevaches, “j’étais personne” ; rien qu’un peu de matière humaine sous la
pierre bleue du ciel : une chair revenue se plonger, se fondre dans la
grande solitude boisée des origines.
Face à ce paysage de
désolation, Bergounioux invite le lecteur à une réflexion sur le peu de poids
de la mort.
Place aux mots de cet
écrivain, dont la syntaxe est puissante et noueuse comme un chêne :
« Nous sommes
enclins, faits comme nous le sommes, à regarder notre petit moment, qui est
tout ce qu’on ait, tout autrement qu’il n’est. Cette illusion est nécessaire,
sans doute. Sans elle nous n’aurions pas la force d’agir, l’envie de continuer.
Il est besoin de croire que nos entreprises et nos desseins, que notre destinée
ont quelque fondement, qu’il importe au plus haut point de les accomplir. Mais
cette idée qu’on s’est faite, pour vivre, se mue en obstacle lorsque l’heure
est venue de partir. On hésite. On répugne à délaisser une affaire que l’on
imaginait si grande, qu’on croyait justifiée. La philosophie, en pareille
occurrence, peut assurément nous aider. Elle établit, par raison, la nihilité
de l’humaine condition. Mais il est bien plus simple, lorsque vient le moment
d’être fixé, de gagner la haute lande, drapée de gris et de violet. On voit,
d’un coup. On sait. Ce n’est rien. On peut accepter. »
© Thibault Marconnet
29/10/2013
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