Bruno Dumont est un
cinéaste de l’incarnation et un révélateur des plaies humaines. Son œuvre
cinématographique est une longue étoffe tissée de chair, de sang, de meurtres,
de sanglots, de cris, de sexe, de douleurs et d’extases – et qu’est-ce que
l’extase, si ce n’est une sorte de joie inquiète, aussi étrange que cela puisse
paraître ? L’univers de Bruno Dumont est baigné d’une lumière crue
dont peu de gens parviennent à supporter l’aveuglant éclat.
Dans Hors Satan, la parole est toujours
brève : l’essentiel résidant dans les actes des personnages. Ainsi que
l’écrit admirablement Ernest Hello dans L’Homme :
« La Parole est un acte. C’est
pourquoi j’essaye de parler. »
Ici, peu de mots mais
des actes qui valent bien mieux que de grands discours pontifiants. Des actes
qui se font Parole, pour ainsi dire, puisque cette œuvre recèle de multiples
références aux Ecritures.
Si le langage est peu
présent, le vent, quant à lui, fait entendre ses craquements au sein de l’air
et le souffle des êtres est une présence quasi constante. Le souffle, ou plutôt
les ahanements sont une clef de voûte de l’œuvre de Dumont. Les hommes y
respirent avec peine, tant dans la jouissance que dans le labeur de
l’existence. Bruno Dumont cisèle son travail de cinéaste comme un tailleur de
pierre, un chantre de la Présence.
Dans Hors Satan, les visages sont, pour la plupart, comme des faces
de glaise burinée. Parmi ces visages, il en est un qui envahit le film, qui
s’impose à nous : celui du « gars ». Sa bouche, également, se
démarque des autres.
On peut se demander
pour quelle obscure raison, celui-ci la dérobe en permanence à celle de
« la fille », qui l’exhorte pourtant à l’embrasser.
C’est que sa bouche
n’est pas faite pour le plaisir : elle est un enclos de feu qui se doit
d’extirper le mal au plus profond des êtres possédés comme on arrache une
racine pourrie, une herbe mauvaise.
Sa bouche est un
antre, une baie de lumière qui se colle violemment contre des lèvres
empoisonnées de ténèbres, afin de brûler la noirceur qui gît en elles et
d’enfumer le Mal comme un renard qu’on débusque de son terrier. Son baiser est
une morsure au flanc de la nuit, un sceau rédempteur.
Les actes de ce film
se déroulent sur la Côte d’Opale et l’on ne peut s’empêcher de voir dans ce
nom, des enchevêtrements symboliques avec le destin des êtres qui y vivent.
L’opale, cette pierre
mystérieuse aux reflets changeants : tantôt laiteuse comme la peau des
personnages et la lumière poudreuse du ciel ; tantôt assombrie telle ces
étendues désertiques qui semblent abandonnées de Dieu.
Ce « lait noir de l’aube » dont parle
Paul Celan et qui s’écoule comme un sang profané, épais et lourd au sein de ces
êtres hantés par un venin de mort.
« Le gars »
est une figure christique éloignée de tout angélisme qui, à défaut de glaive,
peut manier le fusil ou le bâton lorsque cela s’avère nécessaire. Il n’hésite
pas à combattre le Mal par le mal comme pour en clore le cercle vicieux,
l’infernale boucle. Ainsi, le Mal est comme le serpent Ouroboros : il
finit par se dévorer lui-même. Et, en se consommant, il laisse place à la
manifestation du miracle, à la résurrection.
L’opale signifie « pierre précieuse » en
sanskrit et le film de Bruno Dumont le confirme.
Au bout des ténèbres,
la lumière vit et tout est achevé.
© Thibault Marconnet
25/02/2013
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