mardi 28 janvier 2014

Langue de feu




Ce n’est pas tous les jours qu’on fait une rencontre importante.

De ces rencontres qui s’inscrivent en nous comme une marque au fer rouge.

Avant de lire une anthologie poétique de Georges-Emmanuel Clancier, poète limousin, je puis le dire : je ne connaissais rien de Pericle Patocchi ; ni du fait qu’il fut un prodigieux vivant méconnu, et encore moins qu’il était le père d’une œuvre poétique petite sœur de la foudre.

Depuis, j’ai appris à connaître ce poète d’origine tessinoise qui fut englouti par la lumière en 1968, happé par une mort qui n’a jamais rien pu contre son verbe.

C’est rare de sentir, au fil des mots d’un poète, comme un lien fraternel.

Je le constate : Pericle Patocchi est, pour moi, l’égal d’un frère.

Le lire fut une extase. Ce frère humain m’a aidé à faucher la nuit à mes pieds comme une moisson de ténèbres.

Il m’a appris à faire flamber cette paille noire avec la lumière qui gisait en moi. Cette lumière à l’état de friche et que je devais rendre à nouveau fertile en enterrant les cendres du passé pour mieux renaître, pour faire peau neuve.

Sa poésie, recueillie dans L’Ennui du bonheur et autres poèmes, contenue comme un peu d’eau au creux d’une paume, possède une langue propre incontestable, un frémissement singulier.

Chantre de la disparition, de la si fragile joie et de la fatigue d’exister, sa parole poétique est un psaume de grâce douloureuse, l’éclat d’une âme passionnée, au sens premier de ce terme.

Un grand poète, je le reconnais à sa capacité de transmuer le papier et l’encre des mots en autant de tessons de chair lumineuse.

Pericle Patocchi place un cœur blanc au sein des feuilles ; et dès lors la vie tambourine dans le sein du livre comme la pulsation d’un orage, comme des grains de pluie sur un cerisier en fleur.

Tout autant fauve que berger, Patocchi nous lacère par ses mots et nous guide sur les chemins tortueux du vivre.
Et du “livre” au “vivre”, il n’y a qu’un pas ; seule une lettre de différence.

La parole de Pericle Patocchi est une bouche pour nous redonner du souffle, un bâton de pèlerin pour nous épauler l’âme.

Chez ce poète, il y a une langue de feu que la nuit ne pourra jamais engloutir.

A présent, je vais laisser Pericle Patocchi raturer le silence par l’un de ses poèmes intitulé Pure perte :

« Je vous donne mes yeux
jetez-les à vos fleurs,
je vous donne ma voix
pour vos chambres sonores.

Je renais en tombant
de mon haut dans la mer.
Disparu ! Quel poisson
se nourrit de mon cœur ?

Oh, la paix d’être enfoui
quelque part, sans connaître
qui je suis où je vis
dans le feu clair de l’Etre.

Pure perte. Désir
libéré par le chant.
Le passé, l’avenir,
quels beaux vents dans le vent !

Ces paroles ? C’est vous
qui les dites, amis.
J’étais moi, je suis vous
et ma fable est finie. »


© Thibault Marconnet

14/12/2013

Félix Vallotton, La Valse, 1893

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