jeudi 23 janvier 2014

Antonin Artaud ou Le témoignage d'un corps sans organes


Antonin Artaud, Autoportrait

En lisant Antonin Artaud, j'ai ressenti le témoignage d'un être qui a terriblement souffert de ne pouvoir s'incarner pleinement.

Le corps est très présent dans ses écrits, mais c'est un corps presque "vide", "un corps sans organes" pour reprendre l'une de ses formules ; comment dire, c'est un corps "renié" en quelque sorte.

Comme si sa chair n'avait été pour lui qu'un vague manteau enfilé sur ses épaules et qu'un tailleur maladroit aurait fait trop grand ou trop petit.

C'est peut-être là l'un des plus grands drames de sa vie, cette quête inaccomplie pour "faire corps" avec lui-même – et c'est ce qui me touche tant dans ce que j'ai pu lire de lui.

Il écrivait d'ailleurs, et ce n'est pas anodin : « Et en guise de choix d'un corps, je dis merde à tout et je m'endors. »

Artaud n’est pas un écrivain des bas-fonds, des remugles, de la "subversion" – comme d’aucuns pourraient le croire.

Ne nous y trompons pas : quand il évoque le stercoraire, Artaud n’en fait pas l’éloge, loin de là.

Il me semble bien plus proche de Saint Augustin, qui écrivait : « Inter faeces et urinam nascimur » (« Nous naissons entre la merde et l’urine »).

Me vient l’idée que l’auteur de L’Ombilic des Limbes, n’a jamais pu accepter certaines fonctions primaires du corps telles que le fait d’uriner, de déféquer, d’éjaculer, etc.
Et c’est d’ailleurs évident à la lumière de ses écrits.

La sexualité lui faisait horreur.

Ainsi le formule-t-il en 1947 :

« un homme vrai n'a pas de sexe / il ignore cette hideur / et ce stupéfiant péché / mais il connaît le parachèvement que l'être / par définition / ne connaîtra jamais »

Tout entier dans un certain refus d’incarnation, la vie d’Artaud fut quête de pureté.

Il le clame, de manière très précise, dans un écrit de 1947 :

« cette histoire vraie / qui est la mienne / est affreuse / c'est celle / d'un homme / qui voulut / être pur / et bon / mais / dont / personne ne voulut jamais / parce que l'homme n'a jamais pu s’accommoder d'autre chose / que de l'impureté »

Artaud a été comme "foutu" dans l’existence sans son consentement.

Est-ce ce désir de pureté presque absolue, qui entraîna Antonin Artaud dans une chute dont sa conscience ne devait pas se relever ?
Je ne sais.

Toujours est-il que son aventure terrestre, aussi dure qu’elle fut, demeure une leçon terrible, un témoignage brûlant.

Face à une incarnation "obscène" et qui lui faisait horreur, Artaud aura tenté, toute sa vie, de se "ré-incarner" dans un être "pur".

Son expérience, indissociable de son œuvre, est de celles qui ne peuvent s’oublier.

De cette lutte existentielle pour la pureté, nous restent des mots de feu, une poésie sans concessions ; "de la multiplicité broyée et qui rend des flammes", pour le dire avec ses mots.

Pour renaître hors de toute souillure, Artaud s’est lavé dans les flammes de son propre verbe.


© Thibault Marconnet

05/10/2013



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