Antonin Artaud, Autoportrait |
En lisant Antonin Artaud, j'ai ressenti le
témoignage d'un être qui a terriblement souffert de ne pouvoir s'incarner
pleinement.
Le corps est très présent dans ses écrits, mais
c'est un corps presque "vide", "un corps sans organes" pour
reprendre l'une de ses formules ; comment dire, c'est un corps
"renié" en quelque sorte.
Comme si sa chair n'avait été pour lui qu'un vague
manteau enfilé sur ses épaules et qu'un tailleur maladroit aurait fait trop
grand ou trop petit.
C'est peut-être là l'un des plus grands drames de
sa vie, cette quête inaccomplie pour "faire corps" avec lui-même – et
c'est ce qui me touche tant dans ce que j'ai pu lire de lui.
Il écrivait d'ailleurs, et ce n'est pas anodin :
« Et en guise de choix d'un corps, je dis merde à tout et je
m'endors. »
Artaud n’est pas un écrivain des bas-fonds, des
remugles, de la "subversion" – comme d’aucuns pourraient le croire.
Ne nous y trompons pas : quand il évoque le
stercoraire, Artaud n’en fait pas l’éloge, loin de là.
Il me semble bien plus proche de Saint Augustin,
qui écrivait : « Inter faeces et urinam
nascimur » (« Nous naissons entre la merde et
l’urine »).
Me vient l’idée que l’auteur de L’Ombilic des Limbes, n’a jamais pu
accepter certaines fonctions primaires du corps telles que le fait d’uriner, de
déféquer, d’éjaculer, etc.
Et c’est d’ailleurs évident à la lumière de ses
écrits.
La sexualité lui faisait horreur.
Ainsi le formule-t-il en 1947 :
« un homme vrai n'a pas de sexe / il ignore
cette hideur / et ce stupéfiant péché / mais il connaît le parachèvement que
l'être / par définition / ne connaîtra jamais »
Tout entier dans un certain refus d’incarnation, la
vie d’Artaud fut quête de pureté.
Il le clame, de manière très précise, dans un écrit
de 1947 :
« cette histoire vraie / qui est la mienne /
est affreuse / c'est celle / d'un homme / qui voulut / être pur / et
bon / mais / dont / personne ne voulut jamais / parce que l'homme n'a jamais pu
s’accommoder d'autre chose / que de l'impureté »
Artaud a été comme "foutu" dans
l’existence sans son consentement.
Est-ce ce désir de pureté presque absolue, qui
entraîna Antonin Artaud dans une chute dont sa conscience ne devait pas se
relever ?
Je ne sais.
Toujours est-il que son aventure terrestre, aussi
dure qu’elle fut, demeure une leçon terrible, un témoignage brûlant.
Face à une incarnation "obscène" et qui
lui faisait horreur, Artaud aura tenté, toute sa vie, de se "ré-incarner"
dans un être "pur".
Son expérience, indissociable de son œuvre, est de
celles qui ne peuvent s’oublier.
De cette lutte existentielle pour la pureté, nous
restent des mots de feu, une poésie sans concessions ; "de la
multiplicité broyée et qui rend des flammes", pour le dire avec ses mots.
Pour renaître hors de toute souillure, Artaud s’est
lavé dans les flammes de son propre verbe.
© Thibault Marconnet
05/10/2013
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