vendredi 24 janvier 2014

Le Temps n'existe pas



Paris n’existe pas : le titre même de ce film de Robert Benayoun avait déjà tout pour me plaire.

Je ne connaissais rien de ce cinéaste et je me suis plongé dans cette œuvre avec beaucoup d’étonnement et de ravissement – en ce sens où j’ai été littéralement happé dans un espace-temps proprement déroutant.

Ce film nous fait suivre l’histoire de Simon, jeune peintre en manque d’inspiration qui, après avoir fumé un joint aux propriétés étranges, voit s’ouvrir sous son regard médusé les “portes de la perception”.
Et c’est la structure même de son existence qui va s’en retrouver disjointe.

Sa compagne et son meilleur ami vont assister, de l’extérieur, à sa troublante errance spatio-temporelle, sans pouvoir lui apporter de véritable secours.

Je ne voudrais pas trop en dévoiler bien que la fin de cette œuvre puisse être aisément déflorée sans nuire en rien au plaisir et à l’intérêt du spectateur.

Mais comment parler de la fin d’un film qui, justement, n’a pas de fin ?

Car, Robert Benayoun – en plus de vraies qualités de cinéaste, tant sur le plan du cadre, que de la mise en scène et du montage –, nous invite à une immersion vertigineuse dans la matière même du “temps” : cette concrétion d’instants qui ne peut se cerner, se circonscrire parfaitement et dont on ne sait pas si elle est soumise à une quelconque finitude.

Paris n’existe pas n’est pas un film à thèse : que chacun se rassure sur ce point.
Il nous parle d’hommes et de femmes, de la vie, de la création, de l’amour, de l’amitié, du temps ; tout en distillant un subtil parfum d’ironie, de grotesque, de mystère et de nostalgie. Le personnage de Simon invite à l’empathie, tant la situation qu’il vit pourrait tous nous bouleverser, nous ébranler dans nos fondations sensorielles.

A ces évocations s’ajoutent de profonds questionnements. Du cœur, du noyau de cette œuvre pousse un fruit fait de multiples interrogations qui ne peuvent trouver d’aboutissement – ce qui en fait toute la richesse.

Qui peut dire où le temps s’arrête, où commence le temps ?
Et possède-t-il d’ailleurs même un début et une fin ?

Le temps linéaire dans lequel nous vivons depuis l’empereur Constantin, est un temps frappé du sceau de “l’eschatologie” (“discours sur la fin des temps”) ; une notion propre au Christianisme.
Dans cette perspective chrétienne où nous sommes, le temps est une ligne qui tend vers un but dernier.

Il n’en n’a pas toujours été ainsi, puisque le temps était envisagé de manière cyclique par les penseurs grecs de l’Antiquité.

Si l’on s’y arrête quelques instants, le temps nous apparaît comme une notion totalement floue et qui échappe à toute définition claire et précise. C’est un sujet qui excède par trop les capacités dont dispose la pensée humaine pour pouvoir être tranché.

Simon va se perdre dans cette immense toile qu’est le temps : un temps éclaté, dispersé, qui n’a pas de centre fixe. Il va osciller, tourner sur lui-même comme une toupie, tourbillonner dans l’étrangeté la plus radicale. Au point que son esprit se trouvera non loin des faubourgs de la folie.

Certains définissent le temps, tantôt comme une unité, un bloc ; et tantôt comme une discontinuité, un changement permanent.

C’est à en perdre son latin.

Ce seul titre, Paris n’existe pas, m’en inspire un autre : “Le Temps n’existe pas”.

Après tout, le passé continue peut-être une vie parallèle à la nôtre – dans le même temps. Peut-être que rien ne meurt jamais, en fin de compte.

Sommes-nous dans un temps déterminé ou bien naviguons-nous sans le savoir dans tous les temps à la fois ?

Qui peut bien le dire ?

Je tiens à laisser le dernier mot à Jorge Luis Borges, immense écrivain et poète argentin, par une citation qui vient clore ce film au charme entêtant.

Ces mots ne manqueront pas de faire naître encore d’autres interrogations : le temps est un sujet dont on n’épuise pas la matière.

Le passage qui suit est extrait de son livre Enquêtes, dans une partie intitulée Nouvelle réfutation du temps, de quoi finir en beauté :

« Le temps est la substance dont je suis fait. Le temps est un fleuve qui m'entraîne mais je suis le temps ; c'est un tigre qui me déchire, mais je suis le tigre ; c'est un feu qui me consume, mais je suis le feu. » Jorge Luis Borges (in Enquêtes)


© Thibault Marconnet

18/01/2014


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