Je ne connaissais rien
de ce cinéaste et je me suis plongé dans cette œuvre avec beaucoup d’étonnement
et de ravissement – en ce sens où j’ai été littéralement happé dans un
espace-temps proprement déroutant.
Ce film nous fait
suivre l’histoire de Simon, jeune peintre en manque d’inspiration qui, après
avoir fumé un joint aux propriétés étranges,
voit s’ouvrir sous son regard médusé les “portes de la perception”.
Et c’est la structure
même de son existence qui va s’en retrouver disjointe.
Sa compagne et son
meilleur ami vont assister, de l’extérieur, à sa troublante errance spatio-temporelle,
sans pouvoir lui apporter de véritable secours.
Je ne voudrais pas
trop en dévoiler bien que la fin de cette œuvre puisse être aisément déflorée
sans nuire en rien au plaisir et à l’intérêt du spectateur.
Mais comment parler de
la fin d’un film qui, justement, n’a pas de fin ?
Car, Robert Benayoun –
en plus de vraies qualités de cinéaste, tant sur le plan du cadre, que de la
mise en scène et du montage –, nous invite à une immersion vertigineuse dans la
matière même du “temps” : cette concrétion d’instants qui ne peut se
cerner, se circonscrire parfaitement et dont on ne sait pas si elle est soumise
à une quelconque finitude.
Paris n’existe pas n’est pas un film à thèse : que chacun se
rassure sur ce point.
Il nous parle d’hommes
et de femmes, de la vie, de la création, de l’amour, de l’amitié, du
temps ; tout en distillant un subtil parfum d’ironie, de grotesque, de
mystère et de nostalgie. Le personnage de Simon invite à l’empathie, tant la
situation qu’il vit pourrait tous nous bouleverser, nous ébranler dans nos
fondations sensorielles.
A ces évocations s’ajoutent
de profonds questionnements. Du cœur, du noyau de cette œuvre pousse un fruit
fait de multiples interrogations qui ne peuvent trouver d’aboutissement – ce
qui en fait toute la richesse.
Qui peut dire où le
temps s’arrête, où commence le temps ?
Et possède-t-il
d’ailleurs même un début et une fin ?
Le temps linéaire dans
lequel nous vivons depuis l’empereur Constantin, est un temps frappé du sceau
de “l’eschatologie” (“discours sur la fin des temps”) ; une notion propre
au Christianisme.
Dans cette perspective
chrétienne où nous sommes, le temps est une ligne qui tend vers un but dernier.
Il n’en n’a pas
toujours été ainsi, puisque le temps était envisagé de manière cyclique par les
penseurs grecs de l’Antiquité.
Si l’on s’y arrête
quelques instants, le temps nous apparaît comme une notion totalement floue et qui
échappe à toute définition claire et précise. C’est un sujet qui excède par
trop les capacités dont dispose la pensée humaine pour pouvoir être tranché.
Simon va se perdre
dans cette immense toile qu’est le temps : un temps éclaté, dispersé, qui
n’a pas de centre fixe. Il va osciller, tourner sur lui-même comme une toupie,
tourbillonner dans l’étrangeté la plus radicale. Au point que son esprit se
trouvera non loin des faubourgs de la folie.
Certains définissent
le temps, tantôt comme une unité, un bloc ; et tantôt comme une
discontinuité, un changement permanent.
C’est à en perdre son
latin.
Ce seul titre, Paris n’existe pas, m’en inspire un
autre : “Le Temps n’existe pas”.
Après tout, le passé continue
peut-être une vie parallèle à la nôtre – dans le même temps. Peut-être que rien
ne meurt jamais, en fin de compte.
Sommes-nous dans un temps
déterminé ou bien naviguons-nous sans le savoir dans tous les temps à la
fois ?
Qui peut bien le dire ?
Je tiens à laisser le dernier mot
à Jorge Luis Borges, immense écrivain et poète argentin, par une citation qui vient
clore ce film au charme entêtant.
Ces mots ne manqueront pas de
faire naître encore d’autres interrogations : le temps est un sujet dont
on n’épuise pas la matière.
Le passage qui suit est extrait
de son livre Enquêtes, dans une
partie intitulée Nouvelle réfutation du
temps, de quoi finir en beauté :
« Le temps est la substance
dont je suis fait. Le temps est un fleuve qui m'entraîne mais je suis le temps
; c'est un tigre qui me déchire, mais je suis le tigre ; c'est un feu qui me
consume, mais je suis le feu. » Jorge Luis Borges (in Enquêtes)
© Thibault Marconnet
18/01/2014
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