Cécile Sauvage portait
à merveille son nom.
Femme ardente, aimante
et sauvage, son passage sur terre fut de courte durée : elle s’éteignit comme
une luciole qui aura intensément brûlée pendant seulement une quarantaine
d’années.
Dans son ventre de
femme, Cécile Sauvage ne portait pas seulement Olivier Messiaen, celui qui
était appelé à être le futur compositeur grandiose de Quatuor pour la fin du temps ; elle portait également un fruit
doux et amer : la Poésie.
Ce fruit, elle l’a
cultivé toute sa vie. Elle a vécu pleinement dans le giron des mots : ces
signes d’encre qui lui ont permis de rendre son expérience du monde avec une
troublante lucidité.
Tandis que son fils
compositeur germinait dans sa matrice de lumière, il pouvait déjà entendre le
chant d’une mélodie majestueuse et fragile : la voix de sa mère qui écrivait
pour cet enfant à venir, L’Âme en
bourgeon, recueil teinté de si déchirants poèmes.
Avant que d’accoucher
physiquement, elle accouchait déjà sur le plan symbolique d’une œuvre claire et
fiévreuse, tout imprégnée du chant des oiseaux, du rythme cyclique de la terre.
Je l’imagine,
échevelée et calme, pareille à une fontaine dont l’eau jaillirait parfois dans
un grand rire de cristal.
Plus tard, Olivier Messiaen
– son « chevalier rose » ainsi qu’il s’était lui-même surnommé enfant
–, aura tété ce sein gonflé de Poésie.
Il a pu ainsi se
nourrir d’une musique secrète et tendre : la musique de l’âme humaine, toute
enclose en sa mère.
Cécile Sauvage, renarde
chasseresse et chantante mésange, fut reconnue par certains de ses pairs, tels
que Frédéric Mistral, Anna de Noailles ou encore Francis Jammes.
Son journal intime –
qui clôt ses Oeuvres complètes –, est
un précieux témoignage et nous livre des réflexions pleines d’humour et de
finesse :
« … Pour les
hommes, une femme, mon Dieu, c’est toujours une cigarette entre leurs
doigts ; ils la roulent, l’emmaillotent, la fument. Et je réponds oui,
mais la fumée leur échappe… »
Peu de temps avant de
déchirer le voile de la mort, elle écrivait ces mots dans son journal :
« Au moment de la
mort, il faut beaucoup de soleil. Il faut partir en croyant à l’amour comme à
la lumière. »
Georges Bernanos, lion
des lettres dont l’œil était puissamment aiguisé, dira d’elle ceci dans Le Crépuscule des vieux :
« L’œuvre de
Cécile Sauvage est pure. Mais d’une pureté vivante, pure comme une vie pure,
avec on ne sait quelle douce malice agreste, et parfois, tout à coup, le
brusque écart d’une ombrageuse fierté… Si la pureté sait nous faire partager
inexplicablement son allégresse, c’est qu’elle n’est justement pas, ainsi qu’on
voudrait le prétendre, l’ignorance éblouie, sans art, mais au contraire une
certaine expérience profonde de la vie, dont les plus vils sentent obscurément
la force essentielle… »
Pour finir, voici un
poème de Cécile Sauvage, intitulé La tête.
Il faut toujours laisser la dernière parole aux poètes :
« Ô mon fils, je
tiendrai ta tête dans ma main,
Je dirai : j’ai
pétri ce petit monde humain ;
Sous ce front dont la
courbe est une aurore étroite
J’ai logé l’univers
rajeuni qui miroite
Et qui lave d’azur les
chagrins pluvieux.
Je dirai : j’ai
donné cette flamme à ces yeux,
J’ai tiré du sourire
ambigu de la lune,
Des reflets de la mer,
du velours de la prune
Ces deux astres naïfs
ouverts sur l’infini.
Je dirai : j’ai
formé cette joue et ce nid
De la bouche où
l’oiseau de la voix se démène ;
C’est mon œuvre, ce
monde avec sa face humaine.
Ô mon fils, je
tiendrai ta tête dans ma main
Et, songeant que le
jour monte, brille et s’éteint,
Je verrai sous tes
chairs soyeuses et vermeilles
Couvertes d’un pétale
à tromper les abeilles,
Je verrai s’enfoncer
les orbites en creux,
L’ossature du nez
offrir ses trous ombreux,
Les dents rire sur la
mâchoire dévastée
Et ta tête de mort,
c’est moi qui l’ai sculptée. »
© Thibault Marconnet
19/12/2013
Cinquième mouvement du Quatuor Pour La Fin Du Temps de Olivier Messiaen :
Louange A L'Eternité De Jésus
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