Je vous encourage tous à regarder le documentaire instructif et poignant qui suit ma chronique. Et pourquoi pas, ensuite, lire le livre de Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich ?
Je l'ai fait. Et j'en suis ressorti avec une conscience plus aiguisée, plus à l'affût des mensonges, des dévoiements de la langue moderne, de ce novlangue que nous prédisait déjà Orwell.
J'ai rarement regardé documentaire aussi prenant. La voix de Denis Lavant semble scander la litanie de la "Catastrophe".
À l'heure où certains se bouchaient les oreilles, Victor Klemperer, philologue juif allemand marié à une "aryenne", a décidé de les ouvrir bien grandes. Il a noté, jour après jour, tous les mensonges distillés dans la langue allemande par le régime Nazi ; tous les mots inventés, greffés comme des tumeurs pour mieux empoisonner et tuer la conscience. Il a scruté l'ombre qui prenait de l'ampleur en écrivant, en analysant le virus injecté dans la langue. Son diagnostic : LTI, la langue du IIIème Reich.
Sa survie en Allemagne fut possible uniquement grâce son mariage avec une femme allemande. Et cette survie fut rude. Son livre est une sorte de journal testamentaire, qui nous exhorte à ne pas sombrer dans la paralysie de l'esprit, à ne pas abandonner l'esprit critique qui fait les consciences libres et lucides. La pensée doit être vive pour contrer le désastre.
La langue a changé, la langue change encore. Du poison est insufflé en elle. Le mensonge court, il grandit de jour en jour.
La langue que nous servent nos "flics" de la crasse médiatique est une langue qui ment, une langue taillée pour les morts.
À nous de savoir la décrypter, à nous de veiller dans la grisaille du siècle, l'esprit alerte et en mouvement - afin de dérégler la fréquence du mensonge.
Le sens a pris du plomb dans l'aile. Les chasseurs sont puissants. Mais le gibier du langage ne mourra pas s'il scintille dans nos veines, s'il diffuse du sens, s'il est porteur de chair vivante et non de morte carne.
Les loups ont pris possession du bois. Et la forêt moderne en est venue à cacher l'arbre du sens.
Le sens des mots est une sève vitale. "La parole est un morceau de chair" ainsi que le disait Rûmî, ce grand savant, poète et mystique persan, fondateur de l'ordre des derviches tourneurs au XIIIe siècle.
La langue qu'on nous propose est un fruit vide, une flamme éteinte, une chose désincarnée.
Plus que jamais nous avons besoin d'êtres de feu, pour brûler la paille du mensonge.
Thibault Marconnet
30/01/2014