Vincent van Gogh, Amandier en fleurs, 1890 |
Dans
la lande déserte, le vent soufflait ainsi qu’un taureau en pleine course, les
naseaux dilatés. Une herbe d’un vert cru recouvrait le crâne de la terre et le
ciel était en feu. Bientôt, la nuit allait monter du sol et tout recouvrir
comme une grande femme se réveille et jette en l’air par paquets sa longue
chevelure noire. Tout faisait silence, hormis le vent ; tout attendait.
Et
Gabriel vint, portant sur ses épaules toute une hotte remplie d’étoiles. La
nuit, il les cueillait dans le ciel ainsi que des fleurs blanches. Parfois, ces
lucioles célestes étaient déjà mortes lorsqu’il les prenait précautionneusement
entre ses doigts. Qu’importe, il poursuivait sa tâche. Nul ne saurait dire
l’âge de Gabriel : c’était un géant aux sourcils broussailleux, le visage
dévoré par une barbe hirsute et des cheveux de paille sur la tête, en guise
d’ornement. Pour tout vêtement, il portait un pantalon gris de toile rêche
élimée ainsi qu’un maigre gilet de laine.
Une
nuit qu’il accomplissait sa quotidienne cueillette d’étoiles, il croisa un
homme étrange, vêtu d’un long manteau de violet sombre. On eût dit un moine
dans une mystérieuse robe de bure. L’homme interpella Gabriel :
« Dis-moi,
géant, pourquoi cueilles-tu les étoiles ?
-
J’aime les voir briller au creux de ma main, répondit Gabriel, on dirait des
petits feux blancs qui dansent.
-
Et si elles meurent une fois cueillies, arrachées au terreau noir du ciel, cela
ne te fait donc rien ?
-
Non. Qu’est-ce que la mort ? Ah, je le vois bien, tu es l’un de ces hommes
qui croient que c’est mal de mourir et qu’un cachet de cire inviolable est
apposé sur l’enveloppe vide de chaque défunt, comme un point final. Suis-moi
donc, j’ai à te montrer deux arbres que tu n’as jamais vus et qui n’ont pas
leurs pareils dans tout le vaste monde. »
L’homme
au long manteau violet suivit alors Gabriel, les prunelles allumées par une
curiosité dévorante. Lors de leur marche vespérale sous la broderie luisante du
ciel, ce dernier lui dit s’appeler Siméon : il était mage et son œuvre
tout entière consistait à combattre la mort ; son plus grand souci étant
d’accéder à l’immortalité.
Gabriel
l’arrêta :
« Siméon,
vois-tu ces deux arbres ? C’est l’arbre de vie et l’arbre de mort. Vois-tu
comme ils sont si bien entrelacés qu’aucune hache ne pourrait jamais les
fendre, les séparer ?
-
Je le vois, dit Siméon. Mais pourquoi sont-ils ainsi serrés ?
-
Parce que la vie se nourrit de la mort, et la mort de la vie. Ils ne peuvent
exister l’un sans l’autre ou alors tout ce qui est autour de nous
disparaîtrait. Regarde, Siméon, ton nom est inscrit sur les deux arbres dont le
tronc est commun. Ainsi tu vis, ainsi tu mourras.
Siméon,
interloqué, sentit un frisson d’angoisse lui parcourir la nuque.
-
Mais pourquoi diable faut-il que cela soit ainsi ?! Réponds-moi,
géant !
-
Ma foi, Siméon, je n’en sais rien. Mais c’est ainsi et c’est bien. C’est le
mystère et ça fait vivre. À présent, je vais retourner à ma cueillette
d’étoiles. Tu disais qu’elles sont mortes quand je les prends ? Eh bien,
vois-tu, je crois au contraire que rien ne meurt jamais. Au revoir, Siméon. »
Et
Gabriel s’éloigna de son pas tranquille et pesant pour aller confectionner ses
bouquets d’étoiles. Pourquoi donc ? Pour rien. Pour l’amour de ce qui est
beau et qui ne s’explique pas.
© Thibault Marconnet
le 03 octobre 2014
Vincent van Gogh, Paysage d'automne aux quatre arbres, 1885 |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire