mercredi 8 octobre 2014

Le regard d'Orphée

Claude Monet, Camille Monet sur son lit de mort, 1879

Orphée, revenant des enfers, monte vers la lumière accompagnée d’Eurydice. Ordre lui a été donné de ne se retourner sous aucun prétexte, de ne pas porter le regard en direction de celle qu’il aime. Mais Orphée, amoureux inquiet que la sauvegarde de sa bien-aimée ne tranquillise pas tout à fait, se sent la tête attirée par la rotation comme dans une foule on croit s’entendre appeler ou bien lorsqu’on se sent suivi au plus près et qu’une vive angoisse nous fait nous retourner. Ainsi, son visage se détourne de la lumière pour regarder les ténèbres en face. Mais on ne peut éprouver celles-ci qu’une seule fois. Et Eurydice, sa tendre amoureuse, abandonnée par ce regard à la lumière promise, s’en retourne irrémédiablement au pays des ombres. La lyre d’Orphée est une mélodie de résurrection et son regard un tombeau. Ainsi du poète ou de l'écrivain qui accomplissent la tâche d'exhumer la parole de la gangue de nuit dont elle est prisonnière. Cette parole, l'écrivain veut la conduire vers la lumière mais tout concourt à sa mort. Ces mots, auxquels il veut redonner naissance, disparaissent peu à peu comme l’image d’un noyé qui s’enfonce dans des eaux noires. Et, croyant pouvoir encore saisir ce visage, on tend ses mains sur lesquelles une eau vide se referme.

© Thibault Marconnet

2008/2010

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