Jean-Paul Marcheschi, La sciarra |
Selon moi, il est des écrivains de l’incarnation et de la désincarnation. Les écrivains que j’appelle de l’incarnation sont bien souvent – est-ce si étonnant – des individus qui ont foi en Dieu ou qui ont un puissant intérêt pour tout ce qui relève du sacré. Leur incarnation comporte une sorte d’attente de la résurrection ; ceux-ci sont entres autres : Léon Bloy, Georges Bernanos, Paul Claudel, Charles Péguy, Joseph de Maistre, Ernest Hello, Fédor Dostoïevski, etc. Ce que j’entrevois chez eux d’incarnation, cela passe bien évidemment par les formes et le fond de leur langage : une écriture mêlée d’eau et de feu, des phrases de terre grasse ; un absolu qui prend sa source en Dieu, attentif à l’Apocalypse, à la nouvelle venue du Fils de l’Homme. Voilà ce que je nomme chez eux cette incarnation qui, tout en étant fichée dans la tourbe et la glaise, voit au-delà, attend et espère la lumière qui percera le lourd rideau de ténèbres. Quant à ces écrivains de la désincarnation, nul besoin de dire qu’ils sont légion, qu’ils sont les ombres nauséeuses qui défilent obliquement le long des terres brûlées. Leur écriture est vaporeuse et évanescente ; abstraite, elle n’a point prise en l’homme : elle cherche l’ange dans celui qui est fait avant tout de chair et de sang. Ils manient des vocables empreints de préciosité outrancière. Ceux-là me semblent mépriser l’homme, rejeter son imperfection ainsi que le libre-arbitre malaisé dont il est porteur. Ils ne savent pas ce qu’est l’espérance, la Présence et promènent en tous lieux l’inquiétant falot de leur cynisme amer et froid comme une stèle funéraire. Les écrivains de l’incarnation brûlent quant à eux d’un feu secret, d’une flamme rouge comme la pulpe du cœur, d’un soleil incarnat, d’une aurore qui s’élève en rendant la vue aux aveugles. Les “nécrographes”, de leur côté, filent leurs parures de sommeil pour mieux enterrer le verbe à l’abri du feu vivant.
© Thibault Marconnet
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