« Je ne suis pas une
rock and roll star, je suis un écrivain qui écrit et produit ses propres
trucs. » Le 20 octobre 2008, Lou Reed a fait une lecture publique au
CentQuatre à Paris. Pas n’importe quelle lecture : ce sont les textes de
certaines de ses chansons qu’il déclame avec une émotion presque palpable, ceux
de la radio Lou, fréquence qu’il
était le seul à pouvoir capter ; sa radio intime en quelque sorte, son labyrinthe
de paroles, d’images toutes plus poignantes les unes que les autres.
C’était à
l’occasion de la parution d’un livre aux éditions du Seuil, intitulé Traverser le feu, ouvrage qui rassemble
l’intégrale des textes de ses chansons. France
Culture a eu la très bonne idée de retransmettre sur ses ondes cet
enregistrement unique où la voix du vieux rocker s’avance, nue, sans guitare,
portant en bandoulière le feu de ses mots. La traduction française arrive
ensuite, relayée par la voix de Caroline Ducey. Puis, quelques chansons
viennent émailler le fil de la lecture. Ainsi lus sans musique, les textes de
ses chansons prennent une tout autre texture : les images se font plus
présentes, plus persistantes. Elles se gravent dans notre esprit comme une
marque au fer rouge. Et que dire de cette voix qui a tant vécu, cette voix
d’homme – sans doute au fond si proche de l’enfant qu’il fut –, qui nous fait le
don unique de son témoignage artistique, de sa parole créatrice ; cette
parole qui s’offre à nous comme une embrassade fraternelle…
Lou Reed a hissé la
grand-voile et navigue sur le fleuve de sa mémoire. C’est cinq ans plus tard,
presque jour pour jour, qu’il ôtera le
masque bleu de son visage pour regarder Charon droit dans les yeux. En sa
compagnie, il se peut qu’il soit allé traverser le Styx pour ensuite laver son
corps et son âme dans les eaux bienfaisantes de l’oubli – dans le miroir du
Léthé. Sa propre traversée du feu, il
devait l’accomplir seul – laissant ses frères humains derrière lui se
débrouiller comme ils le peuvent. Entendre cette voix nue nous lire les mots d'une vie entière, c'est beau comme l'éclair qui fendille l'eau noire du ciel avec son harpon de lumière.
© Thibault Marconnet
le 09 avril 2014
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