Thibault Marconnet, Cheveux d'eau, 2013 |
L’homme marchait depuis longtemps, lorsqu’il rencontra un
vieillard. Celui-ci était étrange et ne lui prêtait guère attention. Il
marchait devant lui et ne cessait de dire :
« Regarde ! Regarde ! »
« Regarde ! Regarde !
L’homme regardait tout autour de lui : ils avançaient
dans un paysage de ruines.
« Regarde ! Regarde ! » disait le vieillard comme pour lui-même. L’homme lui demanda :
- Regarder quoi ? Tout n’est que cendres. Et le vieux reprenait de sa voix agacée :
- Regarde ! Regarde !
« Regarde ! Regarde ! » disait le vieillard comme pour lui-même. L’homme lui demanda :
- Regarder quoi ? Tout n’est que cendres. Et le vieux reprenait de sa voix agacée :
- Regarde ! Regarde !
L’homme le plaignait intérieurement. Il se disait qu’il
y’avait peut-être eu là autrefois la demeure du vieil homme, son jardin, tout
son univers. Le vieillard se retourna et le fixa avec un sourire aérien, tout
empli de ciel et de nuages.
- Tu n’as donc pas encore appris à regarder, lui dit-il.
Puis il pointa son doigt devant eux, derrière et tout autour.
- Ce que tu vois là n’est que de la poussière pour toi, mais c’est que tu n’as pas encore regardé où il fallait. Ici, vois-tu, tout n’est que beauté.
- Tu n’as donc pas encore appris à regarder, lui dit-il.
Puis il pointa son doigt devant eux, derrière et tout autour.
- Ce que tu vois là n’est que de la poussière pour toi, mais c’est que tu n’as pas encore regardé où il fallait. Ici, vois-tu, tout n’est que beauté.
Il pointa son doigt sur la poitrine de l’homme.
- Regarde là-dedans avant de regarder par tes propres yeux.
- Regarde là-dedans avant de regarder par tes propres yeux.
L’homme ne comprenait pas ce que celui-ci voulait lui
dire. Il allait parler, mais le vieillard lui posa un doigt sur les
lèvres.
- Pars. Ne reviens que quand tu auras appris à voir.
- Pars. Ne reviens que quand tu auras appris à voir.
L’homme commençait à s’éloigner, lorsque le vieil homme
le rappela.
- Où cours-tu donc ? Ton centre est ici. C’est d’ici
que tu dois partir en toi-même.
- Mais comment partir en moi-même ? Cela n’est pas
possible.
Le vieil homme lui sourit.
- Ferme les yeux, et fais-toi confiance. Tu ne risques rien. Fais toi l’ami de tout ce que tu verras en toi. Ne repousse pas les pensées qui te feront peur. Plus que toutes les autres, accueille les avec soin comme des pierres fragiles.
- Ferme les yeux, et fais-toi confiance. Tu ne risques rien. Fais toi l’ami de tout ce que tu verras en toi. Ne repousse pas les pensées qui te feront peur. Plus que toutes les autres, accueille les avec soin comme des pierres fragiles.
Il ferma donc ses yeux face au sourire bienveillant du
vieillard. Celui-ci posa sa main sur le cœur de l’homme.
De nombreuses pensées filèrent en lui comme des comètes
de brume. De vieux cauchemars réapparurent. Il fit comme le vieil homme le lui
avait dit et essaya de les accueillir. Il fut pris dans un tourbillon à la fois
doux et effrayant. Il tenta de crier, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Il
voulut ouvrir les yeux, mais ne le pouvait plus. Il ne sentait plus son corps.
Il tenta de se remémorer la sensation de ses membres, mais rien n’y fit. Il ne
se possédait plus.
Puis peu à peu, durant ce qui lui parut une éternité, il
sentit à nouveau l’écho du sang dans ses veines et la palpitation de sa peau.
Mais il ne sentait plus la main du vieillard sur son cœur. Ses yeux se
rouvrirent d’eux-mêmes. Autour de lui, tout le paysage était comme transformé.
Un lac entouré d’arbres et une étonnante végétation
s’offraient à sa vue. Il chercha le vieil homme du regard. Un rire lui fit
baisser les yeux. Un petit enfant se tenait droit devant lui, la main posée sur
son propre cœur. Son sourire était une virgule de ciel bleu. L’homme
s’agenouilla et ressentit des craquements dans tout son corps. Il regarda ses
mains. Elles étaient toutes ridées. Il toucha son visage. Celui-ci n’était
qu’une suite de rigoles et de tranchées au cœur de sa peau. Il se traîna
jusqu’au lac et contempla sur le reflet de l’onde son nouveau visage. Ses
cheveux étaient gris comme l’acier, ses lèvres tombaient et son front était parcouru
de creux.
Il se retourna vers le petit enfant qui lui souriait
toujours. Celui-ci s’approcha de lui et se regarda à son tour dans le miroir de
l’eau.
- Regarde ! Regarde ! » lui dit-il en riant. Et à peine eut-il dit ces mots qu’il plongea dans le lac qui paraissait sans fond. Voulant-le sauver d’une noyade, l’homme devenu vieillard plongea à son tour. Quand il rouvrit les yeux, sa bouche ne faisait qu’un avec le sein d’une femme. Il était minuscule entre les bras de celle-ci et tétait avidement l’organe nourricier. Il scruta alors les yeux de la femme et put y lire le mot : "Regarde".
- Regarde ! Regarde ! » lui dit-il en riant. Et à peine eut-il dit ces mots qu’il plongea dans le lac qui paraissait sans fond. Voulant-le sauver d’une noyade, l’homme devenu vieillard plongea à son tour. Quand il rouvrit les yeux, sa bouche ne faisait qu’un avec le sein d’une femme. Il était minuscule entre les bras de celle-ci et tétait avidement l’organe nourricier. Il scruta alors les yeux de la femme et put y lire le mot : "Regarde".
© Thibault Marconnet
2006 - 2007
Thibault Marconnet, Ruche du soleil, 2013 |
Pour faire confiance aux autres, il faut d'abord avoir confiance en soi.
RépondreSupprimerPour aimer les autres, il faut d'abord s'aimer soi-même.
Voilà ce à quoi je pense à la lecture de ce joli texte.
Et nous nous rejoignons pleinement, El Norton, dans cette belle conception.
SupprimerMerci à toi.
Et tu as bien fait, chère Chris. C'est un conte initiatique en quelque sorte. Et c'est d'abord et avant tout, ce que tu y as lu, ce que tu en as puisé. Merci du fond du coeur.
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