Félix Vallotton, La lecture abandonnée, 1924 |
Mes livres je les fis pour vous, ô jeunes
hommes,
Et
j'ai laissé dedans,
Comme font les enfants qui mordent dans des pommes,
La marque de mes dents.
J'ai laissé mes deux mains sur la page
étalées,
Et la tête en avant
J'ai pleuré, comme pleure au milieu de
l'allée
Un orage crevant.
Je vous laisse, dans l'ombre amère de ce
livre,
Mon
regard et mon front,
Et mon âme toujours ardente et toujours
ivre
Où vos mains traîneront.
Je vous laisse le clair soleil de mon
visage,
Ses millions de rais,
Et mon cœur faible et doux, qui eut tant de
courage
Pour ce qu'il désirait.
Je vous laisse ce cœur et toute son
histoire,
Et sa douceur de lin,
Et l'aube de ma joue, et la nuit bleue et
noire
Dont mes cheveux sont pleins.
Voyez comme vers vous, en robe
misérable,
Mon Destin est venu,
Les plus humbles errants, sur les plus tristes
sables,
N'ont pas les pieds si nus.
-- Et je vous laisse, avec son feuillage et ses
roses,
Le chaud jardin verni
Dont je parlais toujours; -- et mon chagrin sans
cause,
Qui
n'est jamais fini...
© Anna de Noailles
Max Ernst, La naissance de Vénus d'A. Cabanel revisitée, 1962 |
Un texte qui colle magnifiquement avec la toile.
RépondreSupprimerEn effet, Keith : j'y retrouve la même douceur.
SupprimerMerci beaucoup pour ton commentaire et ta présence.