En plein XVIIIe
siècle et contre toute attente, naquit un poète aux doigts de feu. Son chant a
tout bu, le ciel et la terre réunis. Aigle du verbe, il inscrivit de ses serres
aiguisées sa poésie en lettres vivantes sur le parchemin de l’Eternité. Son
pari (bien plus fou que celui de Pascal) : passer l’alliance aux doigts du
Ciel et de l’Enfer. Autant vouloir unir l’eau et le feu sans que ces deux éléments
ne s’annulent ! Mais les poètes, c’est bien connu, ne se satisfont pas des
terres étroites du réel : ce sont gens de la démesure qui étirent l’imaginaire
à l’infini, repoussant toujours plus loin les limites du langage.
Cet homme
flamboyant, ce poète au front de comète se nommait William Blake : créature
éclose d’on ne sait quelle fleur astrale, monolithe enflammé chu dans notre bas
monde, il vint brûler la pâle raison tremblante au sein de sa faible bergerie.
D’abord voué tout entier à la peinture, il se tourna ensuite vers cette langue
de feu qu’est la poésie. Puissant tigre, il a fait sa proie de toute
hypocrisie, bassesse et médiocrité. Dans sa bouche, gueule de cheminée, des
braises fusaient. Homme lucide, Blake enflamma la paille moisie du mensonge,
incendia la lâcheté et réduisit en cendres une morale chrétienne mortifère.
Avec le
phosphore de son regard félin, cet insulaire né en 1757 et grand moraliste hétérodoxe,
ne pouvait que foudroyer son époque de libertins minuscules, de petits dévots
sans grandeur. Nyctalope visionnaire et poète viril, il a regardé s’enfuir dans
la grisaille, oreilles basses et queue entre les jambes, le troupeau des
couards emperruqués qui abandonnaient le navire. Orateur prophétique, sa chaire
fut l’écritoire où il traça les lettres charbonneuses de ses terribles
visions. Sa plume, griffe rétractile, a creusé au sein du langage des vers d’une
puissance sans égale. Égaré au milieu de vilains gnomes et de ridicules nabots
poudrés, ce Titan n’hésita pas à défier la vanité de toutes les idoles. Tel un
nouveau Prométhée, il s’est avancé au milieu de la poltronnerie environnante
avec pour seule torche la braise de ses yeux.
Bien que
le “traducteur” soit toujours un “traître” ainsi que le veut le proverbe
italien : “traduttore, traditore” ; la traduction de Pierre Boutang me
semble en tous points admirable : seul un poète peut transvaser dans sa
propre langue la fertile semence donnée au monde par un autre habitant de la
matière poétique. Car, ainsi que le disait le peintre Raphaël, cité par Ernest
Hello dans L’Homme : « Comprendre,
c’est égaler. »
© Thibault Marconnet
17/06/2014
Thomas Phillips, William Blake in a portrait, 1807 |
Quel beau panégyrique, je n' ajouterai que l' adjectif " psychanalytique car ainsi que tu l' as signalé, il était nourri de mythes et ses échelles de la destinée ressemblent à des cordons ombilicaux, un poète entretient avec tout l' univers une relation familiale, bravo pour ton travail.
RépondreSupprimerEn effet, c'est un adjectif qui pourrait convenir, à ceci près que nous tomberions alors dans un anachronisme peut-être un peu trop grand. Et puis, je ne sais pas si William Blake eut vraiment goûté avec beaucoup d'intérêt la méthode psychanalytique. Ceci dit, je trouve que ton observation demeure très pertinente. Pour ma part, je le vois comme un "anatomiste de la psyché humaine" (mais après tout, ce n'est qu'affaire de sémantique). Ton image de cordons ombilicaux est très parlante et pour le moins saisissante : tu as l'art de faire s'incarner une pensée sous mes yeux de lecteur. À moi de te retourner le compliment ! De tels commentaires sont toujours une prodigieuse manne au sein du désert. C'est pourquoi je te remercie de tout coeur pour ta franche et généreuse appréciation.
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