dimanche 1 juin 2014

Le Voyage d'hiver de Paul Auster

Thibault Marconnet, Lire Paul Auster, 2013



Chronique d’hiver de Paul Auster, nous rappelle que nous habitons un corps.
Un corps que nous maltraitons parfois, un corps auquel nous donnons du plaisir.

Notre corps témoigne de notre existence dans le monde.

Rien n’est plus proche de nous que cette étoffe de chair ; ces tissus musculaires ; ces organes qui brassent du vivant ; cette ossature qui constitue notre charpente intérieure et nous fait prendre assise au sein de notre être.

Ce corps que nous oublions est trop souvent la cible de notre désamour.

Chronique d’hiver est le Winterreise de Paul Auster, son voyage en terres hivernales.

Il y chante la mort, la vie et surtout l’amour.
Il visite la nuit, il visite le jour.

L’auteur de Moon Palace s’est revêtu d’une cape de neige, pour cheminer dans l’hiver de sa vie. Ses mots se répandent en flocons comme pour mieux étouffer les bruits de la discordance.

Car ce livre est une tentative de concordance avec soi-même.

Paul Auster “entre dans l’hiver de sa vie” et, loin d’être une élégie, son récit prodigue le souffle des renaissances, la lumière, la ferveur du printemps.

Dans cet ouvrage, il se déleste d’anciennes peaux mortes comme pour alléger son rapport à la vie, pour exhausser l’entente avec son corps.

L’amour est un feu qui nous brûle ; qui nous offre joie et souffrance.
Et toujours nous fait clamer le don de la vie et la gratitude qui s’y fiance.

Dans de très belles pages, Paul Auster évoque notre relation angoissée face à la mort.
Il souligne, avec une grande justesse, que la peur de la mort est tout autant peur de la vie.

L’écrivain égyptien, Naguib Mahfouz, exprime également cela avec une grande verve, à la fin de son livre, Les fils de la Médina :

« Oui la peur de la mort est pire que la mort, elle tue à petit feu avant que la mort n’arrive.
S’il pouvait revenir à la vie, il crierait au monde entier : “N’ayez jamais peur ! La peur n’empêche pas la mort, elle empêche la vie. Tant que vous craindrez la mort, vous ne serez pas vivants !” »

“Faire corps avec la vie” : tel est le sésame.


© Thibault Marconnet
06/11/2013


Paul Auster


Michael Eastman, Untitled (FP 9), 2010

2 commentaires:

  1. Ce qui me touche particulièrement dans celui-ci, c'est que Paul Auster nous raconte sa vie à la deuxième personne, et ce "tu" donne la sensation au lecteur de faire presque partie prenante du récit. Et après "L'Invention de la solitude" (son premier livre), "Chronique d'hiver" constitue son deuxième livre vraiment autobiographique de bout en bout. "Moon Palace" est un livre prodigieux : je me souviendrais toute ma vie du personnage du vieil homme que le narrateur vient aider dans son quotidien sans savoir qui il est réellement ; et de cette scène où, dans les rues de New-York, poussé en fauteuil-roulant par le narrateur, ce vieil homme distribue de très grosses sommes d'argent aux gens qu'ils croisent. J'ai eu plusieurs fois les larmes aux yeux avec un tel livre...

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  2. Pour dire le vrai, j'en ai très peu lu : seuls les trois que je mentionne, à savoir "L'invention de la solitude", "Moon Palace" et "Chronique d'hiver". Deux autres m'attendent patiemment dans ma bibliothèque : "Trilogie New-Yorkaise" et "Le Carnet rouge suivi de L'Art de la faim". Si j'ai un livre de Paul Auster à te recommander chaleureusement, mon cher Jimmy, c'est bien "Moon Palace". Au vu de tes goûts, je pense (mais je peux me tromper) que ce récit pourrait vraiment te transporter. Ce fut le cas pour moi. Chez Paul Auster, ce qui me plaît, ce n'est pas tant le style - bien que ne le lisant pas dans le texte, il m'est difficile d'en juger -, mais c'est d'abord et avant tout son immense talent de conteur. Quand j'ai refermé "Moon Palace" (et c'est pour moi un signe qui ne trompe pas) : j'étais triste ; triste de quitter ces personnages auxquels je m'étais tant attaché. Si jamais tu décides de le lire, je te souhaite un beau voyage !

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