mercredi 4 juin 2014

Essais de proses poétiques

Thibault Marconnet, Les yeux fermés du mur, 2013



Les poèmes de Georg Trakl sont d’obscurs rubis d’où gouttent un sang noir et épais : celui d’une âme singulière envahie de cauchemars.

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L’artiste valse avec la Mort et l’Amour : ces sœurs siamoises ; et il lui faut tout l’amour d’un Orphée pour son Eurydice afin de pénétrer dans les enfers et d’en ressortir vivant avec son œuvre inachevée entre ses doigts glacés. Car, Eurydice s’est évanouie dans les ténèbres ; ainsi de son œuvre qui brille du faible feu des souvenirs. La création d’un artiste n’aura jamais de cœur pour battre, de lèvres pour embrasser : femme de Loth, elle ne sera pas plus vivante qu’une statue de sel. Et pourtant, il se peut qu’elle nous aide à vivre.

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J’accueille en moi le soleil aux ailes de feu et je dis adieu à la nuit : cette grande pleureuse aux yeux gris.

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Les livres, s’ils font état de la beauté cachée dans les êtres et dans les choses, nous éclairent sur notre âme et sont des bougies, des habits de lumière.

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J’offre ma poitrine nue à l’épée de lumière qui entrouvrira les quatre points cardinaux de mon âme.

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L’œuvre de François Augiéras est une entière approbation de l’existence ; un témoignage fervent des douleurs et des plaisirs gravés à même la chair. Martyr offert à la joie de la souffrance et de la jouissance, Augiéras était peau à peau avec les quatre éléments du cosmos. Il est de ceux qui osèrent présenter leur poitrine nue à l’épée de lumière, afin qu’elle entrouvre les points cardinaux de son âme. Tour à tour victime et bourreau, il fut un être lumineux, solaire ; une âme burinée dans la forge des volcans. Par le sexe, il fit corps avec la part d’humus qui gît en tout être. Il est peu d’hommes qui aventurèrent leur vie aussi loin, qui se piquèrent avec autant de passion aux ronces rougies de l’extase. Les livres d’Augiéras sont sa semence, donnée aux hommes qui le reconnaîtront pour frère. Météore, il brûle dans la nuit comme un grand soleil.

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Tout poète ne cherche-t-il pas à retrouver les traces perdues du jardin d’Eden ? Et, par ses mots, ne tente-t-il pas de s’approcher au plus près de l’ineffable pour faire jaillir en sa bouche la source même du chant ?

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Avant que de s’adresser à Dieu, la prière est d’abord un acte de dépouillement, un dialogue intérieur. Prier, c’est se pardonner à soi-même toute la peine qu’on peut s’infliger.

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L’amour de soi est la clef de voûte entre l’homme et Dieu ; car le croyant qui se hait ne peut, en définitive, que haïr son Créateur.

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La parole est une semence, une substance charnelle puisqu’il est dit que le Verbe s’est fait chair.

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Lire comme l’on boit à l’eau d’une source alors qu’on était assoiffé ; lire comme l’on brise le pain entre ses dents ; lire comme la faux qui moissonne un prodigue champ de blé.

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Il s’est dévêtu, a couvert son visage de terre et s’est enfoncé dans la nuit comme en une mer noire : sexe de femme aux profonds remous.

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Que fait l’Eglise d’aujourd’hui de la joie que peut procurer le plaisir charnel ? Le péché originel – contrairement à ceux qui prétendent rattacher celui-ci à la sexualité –, c’est de vouloir accéder au même rang que Dieu par le fruit néfaste de la Connaissance absolue ; Savoir qui ôte tout mystère à la vie et désespère ainsi l’être dans sa chair et son esprit.
Le Cantique des Cantiques serait-il donc enfoui sous les décombres d’un anathème par deux fois millénaire ?
Car ce poème biblique est avant tout une célébration de l’érotisme, une ode à la fusion des peaux ; n’en déplaise à ceux qui voudraient n’y voir qu’une pieuse métaphore de l’Amour entre Dieu et son peuple Israël.
Je le dis : une jaculation de sperme est, dans le ventre obscur de la femme, comme un éclair de lumière blanche. Cire liquide du javelot de chair qui ensemence l’humus humide où elle se dépose, le foutre est la liqueur de l’homme, sa vie, son oblation. Il est le don de son sexe dressé comme une croix.
Qui pourra dire que la foi, l’amour de Dieu, ne sont pas des tempêtes d’érotisme ? Les écrits des mystiques, hommes ou femmes, en témoignent. Ceux qui veulent placer l’homme dans le bannissement du plaisir charnel sont des pharisiens, des âmes aigres et racornies.
Dans l'acte sexuel, les êtres accomplissent le mariage éblouissant de l'eau et du feu mêlés. Faire l'amour est une communion des corps et des âmes, une eucharistie de la chair incandescente. Au diable, donc, la morale embrigadée et mortifère des pisse-froid et des puritains !

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Je vis dans la consomption de mon être par l’acte créateur ; et je veux que mes mots soient pareils à des brandons, pour repousser l’enclos des ténèbres qui m’encerclent.

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Puisse la minéralité ne jamais s’emparer de mon être et que ce soit un brasier qui fasse crépiter mon âme !

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Dans une rue, j’ai vu un poteau indicateur de couleur noire, presque entièrement recouvert de papiers blancs. Il m’a fait immédiatement penser à une sorte de bouleau métallique perdu dans la jungle urbaine : inconnu de ceux qui ne posent pas un regard poétique sur les choses et les êtres. Car, qu’est-ce que la poésie si ce n’est l’art de voir autrement ?

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Si j’avais à me définir en partie, je dirais que je suis, de façon oxymorique, un “sauvage civilisé” : je porte dans ma bouche le goût capiteux de la parole qui se donne comme un baiser ; j’ai de mes semblables une salutaire méfiance ; mes narines ont l’ancestrale souvenance du parfum fauve des forêts et des animaux ; et j’entends le chant humide de la vulve des torrents où mon corps s’est purifié.

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Il avait écrit la nuit durant et ses mots étaient tombés comme de la cendre sur le papier malmené. Il comprit que la langue allait mourir ; toutes les langues.
Les signes tracés par sa plume sur le papier attendaient déjà leur tombeau.
Avant d’éteindre sa bougie sur la nuit de la parole – sur la profonde aphasie à venir –, il confia ses feuillets à une enveloppe qu’il cacheta. Le sceau de cire rouge – qui scellait les derniers mots de l’humanité –, c’était son cœur au sang coagulé, inerte et froid.
Il ferma le blanc cercueil comme une lourde porte.
Et vint la froide obscurité comme une grande main, fermer la bouche des hommes et leur briser les doigts.


© Thibault Marconnet

19/01/2013


Thibault Marconnet, La Dordogne coule encore en buvant un peu de ciel, 2012

2 commentaires:

  1. Merci beaucoup, mon cher Jimmy ! Si tu regardes bien les dates inscrites en dessous de mes écrits, tu verras que ceux que je publie sont rarement très récents. Ceci explique cela.
    Au quotidien, je n'écris pas autant, quoique... j'ai mes périodes.

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  2. Oh, Jimmy, voyons ! tout de suite les "grandes eaux" !
    Tu sais, je prépare toujours à l'avance plusieurs chroniques pour le Club, alors je me permets de poster ici des écrits plus anciens : cela me repose. Comme dirait Christian Bobin, "il est bon de donner des nourritures fraîches". Malgré leur ancienneté (toute relative), ces écrits sont à chaque fois rajeunis par ta lecture ainsi que par tous ceux qui les lisent. Et je t'en remercie.

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