« Mille
excuses si je suis en retard / Mais j’attendais que les enfants
s’endorment ; / Il a fallu raconter une histoire… / Quand le gardien a
fait chanter la grille / De ton caveau nimbé de brouillard, / Alors je me suis
avancé sans bruit… » Désormais les enfants sont couchés et une folle nuit
d’amour va pouvoir commencer. Tandis que ça s’en donnait à cœur joie question
rock progressif de l’autre côté de la Manche, la langue de Molière décida de
s’encanailler elle aussi dans les draps défaits de cette muse échevelée à la
poitrine nue.
Quelques feux de joie s’allumèrent ici et là. Mais le plus
incandescent de tous reste à mes yeux celui que fit flamber au début des années
70 un groupe de centaures bien décidés à ressusciter le désir dans les forêts
noires de leur Franche-Comté natale et faire perler du ventre des arbres une
sève à gros bouillons.
Pour cette guerre électrique avec les Anglois, il ne
nous fallait rien de moins qu’une bande de joyeux drilles, des François adeptes
de bonne chère, de dive bouteille et de chairs nues aux moiteurs d’humus. Quant
à ce qui est de la poésie, nous n’avions alors rien à envier aux Angliches :
le vers était déjà depuis longtemps
dans le fruit. Mais pour aller dépuceler cette nouvelle lune, nous avions
besoin d’un nouveau Saint-Michel aux allures de Pan : un chevalier qui
saurait faire gicler la semence d’acier de sa lance dans les cratères de Séléné,
la mythique déesse de la pleine lune.
Pour aller compisser gaiement la perfide Albion, la franchise était de
mise et nos larrons en foire n’en étaient pas dépourvus. Pas fesse-mathieu pour
deux sous, c’est en fils prodigue qu’Ange nous fait don de ses orgasmes
lyriques. Pour ce Guet-Apens
crapuleux, Christian Décamps se montre plus satyre que jamais et sa voix fait
se pâmer d’extase toutes les bacchantes assemblées ; dans les ruisseaux,
les ondines pleurent toute l’eau de leurs cuisses mouillées. S’il est une
divinité qui préside à la folie géniale d’un groupe tel que Ange, c’est
évidemment Dionysos.
Si votre libido est en berne, Ange saura en hisser le drapeau,
vous pouvez m’en croire. Cet album est furieusement érotique et il s’agit sans
nul doute de leur meilleur opus, le plus inspiré qui soit sorti de leur brûlant
athanor. Cet Ange-là n’est pas castré, loin de là ! Il brandit bien haut
le manche de sa guitare en érection et les éclairs fusent : foutre musical
sur la toison déflorée du silence. Avec Réveille-Toi,
ça va bramer dans les chaumières : « Réveille-toi ! / J’entame
un long chorus de liquide vagabond / Sur ta chair à musique… / Non! Non! Non!
Je ne crois plus en ce coma éternel, / Tombé comme un satyre, / Détenant le plaisir
que tu avais de vivre… »
Avec un Ian Anderson outre-Manche (le pâtre fol
de Jethro Tull), je ne connais guère que Christian Décamps qui puisse, en pays
rabelaisien, soutenir la comparaison. Et ce n’est pas avec ces deux-là que les
moutons seront bien gardés : leur bergerie est un moulin ouvert à tous les
loups de passage. Capitaine Cœur De Miel,
morceau fleuve de l’album, vient clore en apothéose cette bacchanale de notes
et de mots : « Poisson-scie, gouvernail / Filaient entre les mailles
/ Il était là, planté sur le pont ! / À châtrer les étoiles, à maudire les
écueils, / Une bouteille de rhum blanc / À la main… »
Nouvel Ulysse aux
côtés de ses précieux compagnons d’ivresse, Christian Décamps accomplit ici sa
plus enivrante odyssée et la fièvre charnelle fait tanguer plus d’une fois leur
navire qui fend les flots de la jouissance. Que Calypso, Circé et toutes les
autres donzelles énamourées ou courroucées prennent garde : leurs
sortilèges n’y pourront rien faire et leurs jupes risquent fort d’être
troussées avant même qu’elles n’aient eu le temps de s’en apercevoir !
Quant à Pénélope, elle peut continuer à tisser et à défaire sa toile chaque
nuit, son Ulysse de mari n’est pas près de revenir s’ennuyer ferme au bercail :
saoul comme un cochon, il a bien d’autres bergères mutines à lutiner
joyeusement dans les vertes prairies plutôt que de rejoindre la froideur du
triste lit conjugal…
Une chose est certaine : la musique d’Ange n’a rien à
envier à nos insulaires cousins. Cet album a sans doute choqué en son temps
autre chose que des verres – et il est certain que de bien trop chastes
oreilles n’ont voulu pour rien au monde goûter de ce puissant breuvage ni même
tâter de la doulce cuisse qui se
cache sous les plis de sa robe. Qu’importe ! Quand le vin est tiré, il
faut le boire. De son fier goulot tendu, Ange crache le vin blanc de son
orgiaque messe. Et dès lors, que tous les pisse-froid mécontents s’en aillent
donc au diable ou à confesse !
© Thibault Marconnet
le 09 mai 2014
Tracklist :
04
- Virgule
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Ange : Christian Décamps (clope au bec semble-t-il) et sa bande de Pierrots lunaires |
Non seulement Ange n'a rien à envier aux perfides Anglais, mais il possède un son absolument unique et original. Par contre, ce n'est plus l'excellentissime Jean-Michel Brézovar qui tient la guitare sur ce "Guet-Apens".
RépondreSupprimerMerci pour cette piqûre de rappel !
Salut Keith !
SupprimerTon commentaire me fait chaud au coeur. Tes interventions ici sont toujours un plaisir. Tiens, j'ai une petite question : en tant qu'amateur d'Ange “première période”, que penses-tu de la nouvelle formation qui comprend Tristan (le fils), Caroline Crozat (hélas partie en cours de route), Hassan Hajdi (formidable guitariste !) et bien entendu, Christian Décamps himself ? Pour ma part, je n'ai écouté qu'un ou deux albums et j'avoue avoir été un peu désappointé. Ceci dit, l'album “Culinaire Lingus” a des envolées bien inspirées. Thierry Louton, l'un de mes cousins, est devenu proche de la sphère “Angélique” lorsqu'il s'occupait d'un festival à Sarlat en Dordogne, qui accueillait principalement des groupes de rock et de métal. Tristan Décamps (le fils), a d'ailleurs participé à un concept-album de mon cousin, intitulé “Le Testament du Diable ou La Seconde Apocryphe” auquel j'ai consacré un billet sous l'intitulé “Athanor”. Quelque chose me dit que certains aspects de cet opus pourraient te plaire. Je crois que le “style” s'apparente à du “dark métal progressif symphonique...” Ah, ces appellations... Enfin, qu'importe le genre pourvu qu'on ait l'ivresse ! Encore merci pour ton commentaire.
Depuis une bonne quinzaine d'années, nous n'avons plus réellement affaire à l'Ange originel, mais plutôt à un projet solo de Christian Décamps. Le résultat n'est pas monstrueux… mais les envolées lyriques de Francis Décamps et les interventions musclée de Jean-Michel Brézovar font cruellement défaut au cœur des aficionados de la première heure ! Nous avons désormais le choix entre deux Ange(s) différents.
SupprimerPar contre, je ne connais pas l'album de Thierry Louton dont tu parles.
Il est normal que tu ne connaisses pas cet album, Keith : en vérité peu de gens en ont entendu parler. Mon cousin l'a autoproduit à 1000 exemplaires je crois. Je viens de trouver un bon article de 2007 qui en parle : http://www.eklektik-rock.com/2007/10/athanor-le-testament-du-diable/
Supprimeret voici leur page myspace :
https://myspace.com/athanormusique/music/songs
Bonne écoute à toi !
Je viens de trouver un album intitulé "Vos cités sont des "tombeaux" également signé Athanor et paru en 2013. Est-ce qu'il s'agit du même auteur ?
SupprimerNon. Aucun rapport entre les deux. Les groupes homonymes sont parfois nombreux.
SupprimerJ'ai mis sous le libellé “Athanor” quelques liens youtube extraits de ce concept-album, si l'envie te prend de les écouter. Belle soirée à toi.