vendredi 21 novembre 2014

Nosfell - Pomaïe Klokochazia balek [2004]



En 2004, si mes souvenirs ne me font pas trop défaut, je devais aller voir Miossec en concert avec un très bon ami dans un lieu parfaitement inapproprié du fait d’une acoustique hautement déplorable : le théâtre de Bonlieu situé en la bonne ville d’Annecy – lieu où je traînais mes guêtres à l’époque. En première partie était annoncé un personnage qui répondait au mystérieux pseudonyme de Nosfell. J’étais venu pour le Brestois et c’est donc lui que je guettais de pied ferme depuis la vigie de mon fauteuil. J’étais loin de pouvoir imaginer ce qui m’attendait… 

Les lumières se sont éteintes et c’est alors qu’un oiseau rare est apparu sur la scène comme amené par le vent : plume de chair déposée devant l’auditoire ébahi. Seul avec son micro, sa guitare et ses pédales pour dessiner dans l’air des arabesques musicales, ce bonhomme d’abord replié sur lui-même avait tout d’un griot, d’un conteur africain. Sa parlure était habillée d’un étrange accent et sa voix, entrecoupée de silences – comme s’il cherchait à mieux se ramasser sur lui-même afin de bondir hors de sa peau ainsi qu’un tigre blanc échappé de ses forêts exotiques. L’atmosphère commençait à se faire électrique. Chacun sentait que la vraie surprise de ce soir-là, ne serait pas Miossec – malgré toute l’affection que l’assemblée présente devait certainement porter à ce chanteur. 

Revenons à Nosfell. En guise de prélude à la soirée, ce faune sylvestre commença par chanter en anglais ainsi que dans sa propre langue, le “klokochazien” : pour les plus curieux d’entre vous, sachez que, de même que pour le “kobaïen”, il n’existe à ce jour encore aucun dictionnaire officiel. Puis le corps de Nosfell s’est déplacé avec la grâce d’un félin fendant l’espace : sabre de lumière dans la pénombre environnante. L’animal s’est vite dévêtu, laissant apparaître sur son torse nu un immense tatouage qui semblait dévorer sa poitrine et son dos. Une danse hypnotique s’est alors emparée de tout son être ; flamme blanche dans l’obscurité, il s’est déplacé parmi nous et, pour un temps, l’univers nous est apparu beaucoup moins familier. 

Quelque chose de neuf et de très ancien à la fois prenait vie sous nos yeux. De quel œuf ancestral Nosfell a-t-il bien pu briser la coque ? de quelles veines de bois son corps s’est-il extirpé pour atterrir parmi nous ? de quel nuage est-il descendu comme la foudre ? de quelle eau, de quelle rivière cet hippocampe humain est-il sorti ? Nous étions baignés dans son liquide amniotique, complètement déboussolés et grisés lorsque cet oiseau de feu se volatilisa ainsi qu’une fumée de cigarette. Il était sans doute reparti moissonner la lumière jaune de ses collines, veiller tel un pâtre son univers verdoyant. 

Nosfell est un baobab : ses racines se désaltèrent aux sources de la matrice terrestre, au magma premier. Lave d’ivoire, il s’est manifesté comme une fugitive image ; créature de grimoire, il a soufflé sur nos visages la poudre d’or du rêve – issue des pages de son propre univers. Depuis, je n’ai cessé de garder dans un coin de ma mémoire ce fabuleux “livre” grand ouvert.


© Thibault Marconnet
le 22 mai 2014


Ps : Pour écouter les morceaux, il vous suffit de cliquer sur les titres.


Tracklist :

08 - Smoke



Nosfell

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire