En
2004, si mes souvenirs ne me font pas trop défaut, je devais aller voir Miossec
en concert avec un très bon ami dans un lieu parfaitement inapproprié du fait
d’une acoustique hautement déplorable : le théâtre de Bonlieu situé en la
bonne ville d’Annecy – lieu où je traînais mes guêtres à l’époque. En
première partie était annoncé un personnage qui répondait au mystérieux pseudonyme
de Nosfell. J’étais venu pour le Brestois et c’est donc lui que je guettais de
pied ferme depuis la vigie de mon fauteuil. J’étais loin de pouvoir imaginer ce
qui m’attendait…
Les lumières se sont éteintes et c’est alors qu’un oiseau rare
est apparu sur la scène comme amené par le vent : plume de chair déposée
devant l’auditoire ébahi. Seul avec son micro, sa guitare et ses pédales pour
dessiner dans l’air des arabesques musicales, ce bonhomme d’abord replié sur
lui-même avait tout d’un griot, d’un conteur africain. Sa parlure était
habillée d’un étrange accent et sa voix, entrecoupée de silences – comme s’il
cherchait à mieux se ramasser sur lui-même afin de bondir hors de sa peau ainsi
qu’un tigre blanc échappé de ses forêts exotiques. L’atmosphère commençait à se
faire électrique. Chacun sentait que la vraie surprise de ce soir-là, ne serait
pas Miossec – malgré toute l’affection que l’assemblée présente devait
certainement porter à ce chanteur.
Revenons à Nosfell. En guise de prélude à la
soirée, ce faune sylvestre commença par chanter en anglais ainsi que dans sa propre
langue, le “klokochazien” : pour les plus curieux d’entre vous, sachez
que, de même que pour le “kobaïen”, il n’existe à ce jour encore aucun
dictionnaire officiel. Puis le corps de Nosfell s’est déplacé avec la grâce
d’un félin fendant l’espace : sabre de lumière dans la pénombre environnante.
L’animal s’est vite dévêtu, laissant apparaître sur son torse nu un immense
tatouage qui semblait dévorer sa poitrine et son dos. Une danse hypnotique
s’est alors emparée de tout son être ; flamme blanche dans l’obscurité, il
s’est déplacé parmi nous et, pour un temps, l’univers nous est apparu beaucoup
moins familier.
Quelque chose de neuf et de très ancien à la fois prenait vie
sous nos yeux. De quel œuf ancestral Nosfell a-t-il bien pu briser la
coque ? de quelles veines de bois son corps s’est-il extirpé pour atterrir
parmi nous ? de quel nuage est-il descendu comme la foudre ? de
quelle eau, de quelle rivière cet hippocampe humain est-il sorti ? Nous étions
baignés dans son liquide amniotique, complètement déboussolés et grisés lorsque
cet oiseau de feu se volatilisa ainsi qu’une fumée de cigarette. Il était sans
doute reparti moissonner la lumière jaune de ses collines, veiller tel un pâtre
son univers verdoyant.
Nosfell est un baobab : ses racines se désaltèrent
aux sources de la matrice terrestre, au magma premier. Lave d’ivoire, il s’est
manifesté comme une fugitive image ; créature de grimoire, il a soufflé
sur nos visages la poudre d’or du rêve – issue des pages de son propre univers.
Depuis, je n’ai cessé de garder dans un coin de ma mémoire ce fabuleux “livre” grand
ouvert.
© Thibault Marconnet
le 22 mai 2014
Ps : Pour écouter les morceaux, il vous suffit de cliquer sur les titres.
Tracklist :
01 - Children Of Windaklo
02 - Shaünipul
03 - Gouz Mandamaz
05 - Slakaz Blehezim
08 - Smoke
09 - Mindala Jinka
10 - Jaün Sev’ Zul
Nosfell |
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