Certaines
personnes ont une géographie intime : des lieux où leur être tout entier
vibre à l’unisson du paysage.
Il
en va de même pour certaines musiques dont on sent qu’elles chantent au plus
près de notre âme. Alors que vous étiez perdu dans une foule oppressante,
étourdi par un brouhaha assommant, soudain vous entendez une voix familière
tinter doucement à vos oreilles. Est-ce une mère, une amante, une sœur, un
frère, un père ? Tout cela et bien plus.
C’est l’esprit d’enfance qui
vient vous parler du fond de votre mémoire la plus ancienne. Une souvenance qui
daterait d’avant votre naissance comme si vous portiez littéralement cette
musique dans le creux de toutes vos cellules. Lorsque je découvris la musique
klezmer, il en fut ainsi. C’est une mère dans les bras desquels j’enfouis mon
corps fatigué ; c’est une amante sur le sein de laquelle je pose ma tête
en extase. Comment l’expliquer ? Cela ne se peut.
Si
je devais un jour proposer à quelqu’un une rencontre inoubliable de beauté, je
lui ferai écouter The Magic Of The
Klezmer de Giora Feidman. Lorsque je me plonge dans cette musique, je vois
défiler devant mes yeux les personnages truculents des Récits d’Odessa de Isaac Babel : truands juifs aux sourires de
rasoir qui tuent comme ils respirent puis sont secoués de sanglots dans un même
élan. Dans mon esprit revient également le choc de mon arrivée dans le vieux
ghetto juif de Venise un jour ensoleillé du mois de mars : sa place
principale me procura une émotion que j’aurais peine à décrire. Il y a pour moi
dans cet album de Giora Feidman, tout l’ensorcellement, toute la joie baignée
de larmes de la musique klezmer, toutes les nuances de la tradition yiddish que
je connais, hélas! fort peu.
Cet
album “magique” – il faut bien le dire – fera vivre sous vos yeux des scènes mémorables :
vous y croiserez un jeune marié partant à la synagogue épouser sa promise avec
la joie au cœur et le rire aux joues ; vous assisterez à la vie
animée d’un ghetto, ses habitants qui se croisent et se saluent
respectueusement du chapeau ; vous verrez enfin des hommes et des femmes
avec des sourires comme autant de virgules de lumière. Du sein de cet album
s’échappe une irrésistible cocasserie mêlée à une atmosphère diasporique qui
charrie dans son sillon des cœurs lourds de chagrin – ainsi qu’un souffle
propice au recueillement de l’âme.
Si
le génial guitariste Sabicas est l’emblème du flamenco dans le monde entier,
alors Giora Feidman hisse, quant à lui, bien haut les couleurs de la musique
klezmer.
L’immense
compositeur et chef d’orchestre, Leonard Berstein, disait ceci de Giora
Feidman : « Vive Giora ! Vive sa clarinette, vive sa
musique ! Il construit des ponts entre les générations, les cultures et
les classes et il le fait avec un parfait génie artistique ».
Soyez
bons pour vous-mêmes et offrez à votre âme de l’enchantement. La joie, c’est
comme la beauté : on n’en n’est jamais rassasié.
© Thibault Marconnet
le 29 mars 2014
Tracklist :
01
- Songs Of Rejoicing
02
- Ki Mizion
03
- The Mothers In Law
04
- Happiness Is A Nigun
05
- Papirossen (Cigarettes)
06
- With Much Sentiment
07
- Friling (From “Ghetto”)
08
- The Marketplace In Jaffa
09
- Hopkele
10
- Nigun
11
- A Dudele
12
- Music For “Ghetto”
13
- Humoresque (Halaka Dance)
14
- Gershwin Suite
15 - Freilach
15 - Freilach
Giora Feidman |
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