Avant
d’ouvrir ce livre, je ne connaissais d’André Malraux que les basses caricatures
que notre siècle de l’image toute-puissante veut nous faire avaler à toute
force. Et j’ai assez soupé des couleuvres de ce petit XXIe siècle qui croit en
avoir fini avec la grandeur, la beauté et le vrai.
Pour
Malraux, est vérité tout ce qui est vérifiable. À l’heure où les minuscules fanatiques
de tous bords investissent l’espace médiatique, la lecture de Malraux est un
véritable antidote. Ses discours ont, mutatis
mutandis, la véhémence et l’aura des Oraisons
funèbres de Bossuet. Malraux l’agnostique, sait qu’on ne se déprend jamais
du Sacré sans y perdre ce qu’il nomme notre “part divine” et qui toujours se
conquiert de haute lutte.
Homme
maintes fois blessé dans son âme et sa chair par le suicide ou le décès des
êtres les plus proches (son père, sa femme, ses fils), Malraux a tenu bon ainsi
qu’un rocher au milieu des eaux démontées. Il a su traverser l’un des siècles
les plus ténébreux qui soient de mémoire d’homme. Ce XXe siècle qui a connu le
sillon de sang noir de la Première Guerre mondiale ; la guerre d’Espagne
et ses charniers (à ce propos, il est bon de lire Les grands cimetières sous la lune de Georges Bernanos, cet
implacable et terrible réquisitoire contre la lâcheté et la complicité de
l’Église espagnole dans les massacres perpétrés par Franco et ses
sbires) ; les camps de la mort et leur cortège d’ombres
fantomatiques ; les bombes atomiques lâchées comme des fruits vénéneux
au-dessus d’Hiroshima et Nagasaki ; le putsch des généraux à Alger dont il
était, avec de Gaulle et d’autres, en plein dans la ligne de mire...
La Politique, la culture est un livre qui rassemble tous les combats de
Malraux en commençant par celui du jeune adulte qui, très tôt, apporta son
soutien aux Annamites : cette communauté vietnamienne dont les membres,
bien que placés sous tutelle de l’Indochine française (ironie du sort), n’avaient
pas le droit d’aller étudier en France…
Toute
sa vie, l’auteur de L’espoir a été un
être révolté qui s’est battu pour que l’homme puisse conserver un visage humain
et digne.
Défenseur
des arts, André Malraux n’a jamais établi de dichotomie entre politique et
culture, car la “vie de la Cité” est faite de culture, au sens plein de ce mot.
D’ailleurs, le dualisme si cher à notre pensée occidentale n’avait pas sa
faveur. Malraux voyait plus loin, au-delà de tout ce qui diminue et entrave
l’homme dans ses élans les plus vitaux.
Malraux
n’est pas qu’un grand nom de l’histoire française, c’est aussi un style chargé
d’éclairs. Dans une époque où la culture “officielle” atteint son étiage, il
est de toute importance de se plonger dans la lecture des combats de ce “Lazare”
(titre d’un de ses derniers ouvrages), qui aura mis tout en œuvre pour faire
sortir de son tombeau le sentiment de grandeur qui vit dans le cœur de chaque
homme. Pour franchir le seuil de sa pensée, voici sans nul doute l’une des plus
belles portes qui soient. Notre société de la moquerie permanente a d’ores et
déjà enterré chez les personnes plus ou moins jeunes tout intérêt pour la
politique. L’un des “miracles” de ce livre (et non des moindres), est qu’il a
littéralement fécondé et ressuscité ma conscience politique. Puisse-t-il en
aller de même pour tout lecteur de bonne volonté.
© Thibault Marconnet
le 23 novembre 2014
André Malraux photographié par Gisèle Freund en 1935 |
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