La grande pitié des églises de France de Maurice Barrès est un ouvrage à mi-chemin entre le journal et l’essai.
Ce plaidoyer en faveur des églises de France – qui refuse de se référer uniquement à des critères esthétiques, archéologiques ou religieux –, me paraît toujours d’actualité.
Deux passages du livre de Maurice Barrès ont produit sur moi une impression profonde.
À la p. 62 :
« Il y a chez nous tous un fond mystérieux et qui ne trouve sa satisfaction que dans ce phénomène mystérieux lui-même qu’on appelle la croyance.
Il y a une part dans l’âme, et la plus profonde, que le rationalisme ne rassasie pas et qu’il ne peut même pas atteindre. »
Aux pages 231-232 :
« Ce n’est pas la raison qui nous fournit une direction morale, c’est la sensibilité. Le vieux Kant s’est donné bien du mal, avec sa dialectique géniale, pour atteindre à son impératif catégorique, qui n’est que la leçon piétiste que sa mère lui faisait réciter quand il était petit.
Notre conscience d’homme nous révèle surtout ce qu’elle a reçu dans la première enfance, à l’âge où notre entourage donne une inclination aux premiers souhaits du cœur. »
Barrès me semble rejoindre ici la Bienheureuse Angèle de Foligno et Georges Bernanos, qui ont chacun plaidé en faveur de l’esprit d’enfance : ce don d’étonnement inaltéré, cet élan insatiable et vigoureux qui est l’absolu contraire des dévoiements que représentent le gâtisme et le jeunisme si chers à notre époque.
© Thibault Marconnet
18/12/2013
Maurice Barrès |
Salut Thibaud,
RépondreSupprimerj'aime bien cette analyse selon laquelle ce serait l'entourage qui révélerait les premiers souhaits de l'enfant.
Cette interprétation laisse à la fois la part (prédominante) de l'évolution de l'enfant à son entourage, donc à l'acquis, mais elle ne délaisse pas la part évidemment présente (à degré moindre, pour ce que j'en pense) d'innée là-dedans.
A trop craindre les discriminations, on finit par renier entièrement la dimension de l'innée. Or, celle-ci me semble absolument nécessaire pour que l'individu puisse à terme ressentir ses frontières internes. Sans aller jusqu'à parler de libre-arbitre (les choix que l'on fait dépendent de notre environnement et de ce que les autres ont fait, par le passé, de nous), savoir qu'une part de ce que l'on devient est propre à soi-même et uniquement à soi-même me semble quand même réjouissant.
Salut El Norton,
SupprimerEn effet, notre entourage imprime son empreinte en nous, quoi que nous fassions ou voulions. Il y a toujours une part d'inné, une sorte de “cellule primitive” qui nous échoit en héritage. Et comme toi, je pense que ce noyau premier est essentiel. Peut-être qu'au fond, nous passons notre vie entière à essayer de nous en rapprocher le plus possible, à revenir aux sources bienfaisantes.
Cette part d'inné, je crois qu'elle prend acte avant toute chose dans nos émotions les plus fortes. Pour ma part, c'est là que se trouve “la clef” : dans le fait d'être à l'écoute de mes émotions les plus intimes car je sais qu'elles ne peuvent me tromper. Chacune de nos émotions est nécessaire et nous transmet un message qui demande à être écouté. C'est ainsi que, m'appuyant sur cet espèce de magma intérieur, je peux ensuite faire des choix qui correspondent davantage à celui que je suis au plus profond et non plus répondre à ce que l'on a déposé en moi durant mon enfance (et qui, au fond, ne m'appartient pas en propre). Ta façon d'employer ici le terme de libre-arbitre me semble tout à fait appropriée. J'aime beaucoup ta façon de voir les choses et d'en parler ainsi que tu le fais, en toute franchise.
Je suis souvent surpris quand je regarde mon petit frère de sept ans, d'observer ses réactions face à telle ou telle chose. C'est là que je m'aperçois que tout ne dépend pas de l'acquis. Nous ne sommes pas que les enfants de nos parents, nous sommes aussi des êtres uniques dont la vie intérieure ne peut s'expliquer seulement par les données actuelles de la science. Bien entendu, l'acquis a une très grande part et, cependant, à ce que je crois, il existe au fond de nous une matrice propre à chacun, qui ne demande qu'à s'ouvrir pour que nous “devenions qui nous sommes en vérité”. Nietzsche l'a formulé admirablement et Pindare bien avant lui.
En t'écrivant ces lignes, j'écoute le nouvel album d'Ez3kiel, “Lux” qui est pour moi un véritable bijou musical. Connaissant quelque peu tes goûts, je me suis dit que cet opus pourrait te plaire. Mais il se peut que je me fourvoie. Quoi qu'il en soit, si tu es intéressé et que tu as une Dropbox, je me ferai un plaisir de partager cet album avec toi. Amicalement,
Thibault
Salut Thibault,
SupprimerJe me sens en phase avec ta façon d'appréhender la question de l'innée/l'acquis. A savoir que, si la part acquise reste majoritaire quant à l'influence sur l'évolution de l'individu, la part innée est néanmoins essentielle.
J'entends par là qu'un enfant violenté, ou ayant vécu un traumatisme, en portera forcément des séquelles qui impacteront l'individu qu'il deviendra.
Même si, en s'appuyant sur des tuteurs, il parvient à effectuer un travail de résilience, ce parcours (traumatisme+résilience) influera forcément sur celui qu'il est.
La notion de résilience me passionne. Je ne sais plus si l'on a déjà eu l'occasion de l'évoquer ici, mais Boris Cyrulnik fait figure de référence en France, concernant ce terme. Ses livres sont en plus assez faciles d'accès et s'appuient sur de tristes épisodes de l'histoire (notamment les génocides au Rwanda ou ceux des Khmers Rouges au Cambodge) forcément communs dans la souffrance qu'ils ont pu engendrer, mais aussi des violences individuelles, des situations isolées.
J'aime beaucoup la façon dont tu arrives à parler de tes émotions, à considérer l'impact de ces émotions internes sur ta personne. Je n'en suis pas encore au stade où j'arrive à avoir un accès aussi direct vers ces émotions. Même dans le registre de la musique, domaine auquel je consacre énormément de temps, je suis trop encombré de considérations "techniques" (je le mets avec de gros guillemets car je n'ai aucune base technique en musique) du moins encombré par la question de savoir ce que vaut l'oeuvre plus que je ne la ressens.
Je crois que ce sera l'un des défis des 10 prochaines années de ma vie que d'arriver à davantage faire rejaillir mes émotions. Les échanges que l'on peut avoir ici m'y aident. En cela, ils me sont précieux.
Pour Ez3kiel, c'est justement le cas d'école : une formation sur laquelle j'ai de gros préjugés. J'ai bien lu ton article sur Barb4ry, mais je n'ai pas réussi à le trouver (à l'inverse du Lux que j'ai, mais qu'il faudra que je prenne le temps d'écouter).
Pour la dropbox, je te recontacte ;)
Bonsoir El Norton,
SupprimerNos échanges me sont également précieux. Tes interventions me permettent de (re)considérer des choses qui me sont essentielles. Je suis très heureux que tu aies amorcé ce dialogue autour de notions telles que l'inné et l'acquis : là se trouvent les structures fondamentales de chaque être.
J'ai souvenir d'avoir été bien marqué par la lecture d'“Un merveilleux malheur” de Boris Cyrulnik, dans lequel il évoque, entre autres, l'enfance de la chanteuse Barbara, violée à plusieurs reprises par son propre père... Son approche autour du concept de résilience m'intéresse beaucoup. J'avais d'ailleurs regardé un beau documentaire il y a quelques années dans lequel il parlait de son enfance hantée par le traumatisme de la déportation : il a survécu tandis que ses parents sont morts dans les camps. Il faut un sacré élan vital pour pouvoir vivre avec un tel drame en soi. Le fait qu'il s'intéresse également de près à l'éthologie me semble quelque chose de très important. Nous connaissons au fond si peu de choses quant au comportement animalier. Et souvent, l'homme a refusé de regarder l'animal autrement que comme un être inférieur, ce qui est désastreux. Nous sommes des animaux avant toute chose, ce que nous avons trop tendance à oublier. L'éthologie est un domaine qui promet de riches découvertes pour l'avenir. Spinoza disait déjà en son temps “qu'on ne sait pas ce que peut un corps”. Descartes et son cogito tout-puissant nous a mis dans un beau pétrin en proclamant la désunion du corps et de l'esprit, comme si chacun d'eux pouvait mener une vie à part.
C'est amusant que tu évoques Boris Cyrulnik car son fils, que mon père a rencontré lors d'une soirée chez des amis, a acheté l'un de mes recueils. Il a dit qu'il le ferait lire à son père mais je ne sais pas ce qu'il en est car apparemment leurs rapports sont assez distants. Quand il a vu la dédicace “À mes parents” en exergue de mon ouvrage, il a semblé surpris aux dires de mon père et lui a avoué que c'est une chose qu'il ne pourrait pas écrire. Comme quoi, on peut avoir un père excellent psychiatre et éprouver des difficultés dans la relation père/fils.
Je te comprends, El Norton. J'ai moi-même mis beaucoup de temps avant de parvenir à exprimer ou tout simplement accepter les émotions qui me traversent. Longtemps ces émotions m'ont débordé, m'ont fait perdre pied. Mais c'est parce que j'allais contre, que j'étais en lutte avec elles. S'il y a une chose que j'apprends au quotidien en le vivant dans ma chair, c'est que toute émotion que je rejette, que je refuse d'accueillir, se retourne ensuite contre moi-même. C'est comme recoudre une plaie qui n'aurait pas été bien désinfectée. L'équilibre est délicat et subtil qui permet de vivre pleinement nos émotions sans pour autant être dévastés. Mais en fait, je crois que tout ce qui nous “dévaste” justement, survient lorsque nous nous coupons de certaines de nos émotions essentielles et vitales. C'est pourquoi je te souhaite de tout coeur de parvenir à te “réconcilier” avec tes émotions. À mes yeux, elles sont un sésame indispensable qui nous ouvre des portes sur l'horizon.
Peut-être que “Barb4ry” te fera reconsidérer autrement tes préjugés sur Ez3kiel. C'est tout le bien que je te souhaite en tout cas ;-)
Amicalement,
Thibault