Il
y a des albums dont on voudrait qu’ils n’eussent jamais de fin tant leur beauté
est saisissante. Ce sont des fleuves où le nectar et l’ambroisie coulent à
flots ; des mondes sonores dans lesquels il est bon de se perdre ;
des jungles luxuriantes où chaque note est comme la tresse d’une liane qui
s’étire à l’infini.
À la manière du Prélude
à l’après-midi d’un faune de Debussy, le morceau fleuve de Karma s’annonce ainsi qu’une
ivresse : celle-là même que connut peut-être le Créateur lors de son chant
pour faire advenir la Création depuis le fin fond du Néant. Avec Pharoah
Sanders, le chaos prend forme, la Parole créatrice nous est révélée – et tout
un univers se recrée en nous. Cette œuvre semble ne pas avoir de limites :
ses ramifications sont des racines de bambous qui déchirent la terre,
l’entrouvrent comme le ventre d’une femme accouchée.
On ne sait plus où l’on
est, le sol se dérobe sous nos pieds : ça gronde de toutes parts. Plus
rien ne sera comme avant. La lumière verte des feuilles est un masque de
jouvence et quelque chose de très ancien renaît soudain en vous. Dans l’or du
ciel un fruit de sang éclabousse votre visage et vous buvez fiévreusement son
lait de grenade. Sorcier, charmeur de serpents, le saxophone de Pharoah Sanders
rugit dans la savane et c’est un lion qui jaillit puissamment de son âme de
bois.
Le Prélude à l’après-midi d’un fauve
est lancé et rien ne l’arrêtera dans sa course folle. On ne met pas de mors aux
dents de l’amour fou, de l’Amour Suprême…
© Thibault Marconnet
le 03 mai 2014
Tracklist :
Pharoah Sanders |
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