mardi 8 avril 2014

Juan Asensio, l'écrivain de la nuit



L'écriture de Juan Asensio a une rare faculté d'ébranlement.

On ressort de la lecture de La Chanson d’amour de Judas Iscariote comme changé ; chargé de beauté et dépositaire d'un terrible témoignage.

Et l'on avance sous ce faix, aveuglé par une lumière crue, par ces mots comme autant de tessons de feu.

C'est une œuvre peu commune : on ne sait par quel endroit la saisir et c'est ce qui en fait toute la richesse.

Ce livre ne s'explique pas, il se vit. Entre "livre" et "vivre", il n'y a qu'un pas ; seule une lettre de différence.

Il se peut que vous vous sentiez parfois tituber comme un homme saoul, grisé par le vin noir de ce verbe.


William Congdon, Luna 7, Subiacio, 1967


Toutes proportions gardées, ce livre m'a procuré des sensations analogues à celles éprouvées lors de mon entrée fébrile dans La maison un dimanche de Pierre Boutang ; livre d'ailleurs cher à l'auteur et auquel j'ai pu accéder grâce à la Zone.

Il y a de la colère dans ces pages, une colère qui gronde avec la voix de Job face à un ciel blanc comme une stèle de marbre.

La Chanson d’amour de Judas Iscariote ne nous donne aucune clef. Il n'en est d'ailleurs nul besoin : la porte peut s'ouvrir si nous le désirons.

Derrière ce seuil de nuit, se trouve un incendie : pour "comprendre" cette œuvre, il faut accepter de s'y plonger corps et âme, quitte à roussir.


William Congdon, Il Sopolcro (The Sepulcher), 1974


Il est des rencontres littéraires que l'on n'osait plus espérer.

Et voilà qu'au matin ou à la tombée du soir, on entrouvre la lumière contenue au sein des pages. On ne sait pas où l'on va mais on se laisse guider par la voix.

Ce livre déboussole l'âme. C'est un chant d'amour fiévreux, emmêlé comme des cheveux noyés de larmes. 

L'amour, ce n'est pas que la pure bonté gratuite : c'est aussi la croix et le glaive.

Cet "écrivain de la nuit" a beaucoup à nous dire si nous nous donnons la peine de le lire.

Le monologue de Judas est proprement vertigineux et n'est pas sans m'évoquer celui proféré par Caïn dans La plage de Scheveningen de Paul Gadenne.

On pourrait réitérer la formule de Barbey d'Aurevilly dite à Huysmans : « Il ne vous reste plus logiquement que la bouche d'un pistolet ou les pieds de la croix. »

Mais l'auteur a déjà choisi, en faisant acte de parole.

Puissions-nous avoir la force d'écouter jusqu'au bout cette voix si singulière, cette parole de foudre et de nuit.

Car la parole éclaire tout autant qu'elle obscurcit.


William Congdon, Crocefisso 2, 1960


 © Thibault Marconnet

31/01/2013

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