L'écriture de Juan
Asensio a une rare faculté d'ébranlement.
On ressort de la lecture
de La Chanson d’amour de Judas Iscariote
comme changé ; chargé de beauté et dépositaire d'un terrible témoignage.
Et l'on avance sous ce
faix, aveuglé par une lumière crue, par ces mots comme autant de tessons de
feu.
C'est une œuvre peu
commune : on ne sait par quel endroit la saisir et c'est ce qui en fait toute la
richesse.
Ce livre ne s'explique
pas, il se vit. Entre "livre" et "vivre", il n'y a qu'un
pas ; seule une lettre de différence.
Il se peut que vous
vous sentiez parfois tituber comme un homme saoul, grisé par le vin noir de ce
verbe.
William Congdon, Luna 7, Subiacio, 1967 |
Toutes proportions
gardées, ce livre m'a procuré des sensations analogues à celles éprouvées lors
de mon entrée fébrile dans La maison un
dimanche de Pierre Boutang ; livre d'ailleurs cher à l'auteur et auquel j'ai
pu accéder grâce à la Zone.
Il y a de la colère
dans ces pages, une colère qui gronde avec la voix de Job face à un ciel blanc
comme une stèle de marbre.
La Chanson d’amour de Judas Iscariote ne nous donne aucune clef. Il n'en est
d'ailleurs nul besoin : la porte peut s'ouvrir si nous le désirons.
Derrière ce seuil de
nuit, se trouve un incendie : pour "comprendre" cette œuvre, il faut
accepter de s'y plonger corps et âme, quitte à roussir.
William Congdon, Il Sopolcro (The Sepulcher), 1974 |
Il est des rencontres
littéraires que l'on n'osait plus espérer.
Et voilà qu'au matin
ou à la tombée du soir, on entrouvre la lumière contenue au sein des pages. On
ne sait pas où l'on va mais on se laisse guider par la voix.
Ce livre déboussole
l'âme. C'est un chant d'amour fiévreux, emmêlé comme des cheveux noyés de
larmes.
L'amour, ce n'est pas
que la pure bonté gratuite : c'est aussi la croix et le glaive.
Cet "écrivain de
la nuit" a beaucoup à nous dire si nous nous donnons la peine de le lire.
Le monologue de Judas
est proprement vertigineux et n'est pas sans m'évoquer celui proféré par Caïn
dans La plage de Scheveningen de Paul
Gadenne.
On pourrait réitérer
la formule de Barbey d'Aurevilly dite à Huysmans : « Il ne vous reste plus
logiquement que la bouche d'un pistolet ou les pieds de la croix. »
Mais l'auteur a déjà
choisi, en faisant acte de parole.
Puissions-nous avoir
la force d'écouter jusqu'au bout cette voix si singulière, cette parole de
foudre et de nuit.
Car la parole éclaire
tout autant qu'elle obscurcit.
William Congdon, Crocefisso 2, 1960 |
31/01/2013
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