Alberto Burri, Bianco, 1953 |
Vous qui passez
bien habillés de tous
vos muscles
un vêtement qui vous
va bien
qui vous va mal
qui vous va à peu près
vous qui passez
animés d’une vie
tumultueuse aux artères
et bien collée au
squelette
d’un pas alerte,
sportif, lourdaud
rieurs renfrognés,
vous êtes beaux
si quelconques
si quelconquement tout
le monde
tellement beaux d’être
quelconques
diversement
avec cette vie qui
vous empêche
de sentir votre buste
qui suit la jambe
votre main au chapeau
votre main sur le cœur
la rotule qui roule
doucement au genou
comment vous pardonner
d’être vivants…
Vous qui passez
bien habillés de tous
vos muscles
comment vous pardonner
ils sont morts tous
Vous passez et vous
buvez aux terrasses
vous êtes heureux elle
vous aime
mauvaise humeur souci
d’argent
comment comment
vous pardonner d’être
vivants
comment comment
vous ferez-vous
pardonner
par ceux-là qui sont
morts
pour que vous passiez
bien habillés de tous
vos muscles
que vous buviez aux
terrasses
que vous soyez plus
jeunes chaque printemps
Je vous en supplie
faites quelque chose
apprenez un pas
une danse
quelque chose qui vous
justifie
qui vous donne le
droit
d’être habillés de
votre peau de votre poil
apprenez à marcher et
à rire
parce que ce serait
trop bête
à la fin
que tant soient morts
et que vous viviez
sans rien faire de
votre vie.
*
Je reviens
d’au-delà de la
connaissance
il faut maintenant désapprendre
je vois bien
qu’autrement
je ne pourrais plus
vivre.
*
Et puis
mieux vaut ne pas y
croire
à ces histoires
de revenants
plus jamais vous ne
dormirez
si jamais vous les
croyez
ces spectres revenants
ces revenants
qui reviennent
sans pouvoir même
expliquer comment.
Anselm Kiefer, Palette, 1981 |
(in Auschwitz
et après – Une connaissance inutile, tome II, p. 185-187)
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