vendredi 11 avril 2014

L'ombre du soleil

Jean-Paul Marcheschi, L'Oracle de Solutré I, 2009


Je suis cet homme qui n'invente plus,
qui ne crée plus,
qui écoute l'idiome du néant.
Je m'en retourne - désir blessé -
dans les plaies de l'animal.
Face au monde qui me délire,
ce qui me substitue
déjà s'empare de ma parole
par ma puissance consentie.

Je me tiens dans cet instant fissuré
- éternelle graduation de corps humides -
où tout ce qui suinte et respire
vient battre comme une pluie sans eau.
J'ouvre mon corps aux espaces indéfinis
dans l'onde électrique du naufrage.

Je vais, mes yeux de tempête
face à l'eau souterraine,
- flèches de lave figée -
dans cet esclavage immobile
où nos pensées convulsionnent
par petits crachats sans devenir.

Ainsi j'ai traversé la vie sans l'éprouver,
le cou ligoté par la corde des mots.



Jean-Paul Marcheschi, L'Oracle de Solutré II, 2009


Alors je serai cet homme
qui devra sentir le monde
comme un empêchement ;
et pourtant tambouriner la terre
de mes pieds trop légers
pour qu'ils soient de suie
dans la combustion du soleil.

J'irai, navire de l'invisible,
briser les liens du sommeil
rompre les digues du feu
et répandre mon incendie trouble
sur les postes de surveillance.
Je parlerai aux veilleurs,
aux poètes qui invoquent la vie
qui célèbrent le monde
et le soutiennent dans sa chute.



Jean-Paul Marcheschi, La Voie Lactée, 2009


Nous ne voyons pas dans la vie
toute notre potentialité d'existence.

Il me faudra dès lors puiser la lave liquide
à la surface d'un volcan éteint ;
faire du reflet des étoiles sur l'eau
un opéra de comètes brûlantes.

Comme le buveur à la soif apaisée,
attentif à la sécheresse future
j'attendrai que me touche l'ombre du soleil.

À chaque peau morte délivrée,
les cellules fomentent la prochaine scorie.

La poésie est une mue irrégulière.



Jean-Paul Marcheschi, Le Baiser de feu, in Les Livres rouges, circa 1985



© Thibault Marconnet

10/06/2008

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