Odilon Redon, Alsace ou Moine lisant, 1914 |
LE JONC
Avec mes gestes qui se
courbent,
Frêlement,
Je proteste contre le
japonais.
Je sais que je n’aurai
pas d’effet.
LE CHÊNE
J’ai le droit de te
gronder :
Je t’avais donné de
l’écorce, des feuilles nombreuses et touffues,
Et tu me trahis, tu
prends du chinois.
LE ROCHER
Quand il marche sur
moi, pieds égarés,
Je sais lui pardonner,
Mais il m’a délaissé
Pour le finlandais, le
patagonais.
LE CIEL
Avec mon soleil avec
ma lune avec mes étoiles
J’éclairais les ronces
qui le cachaient
Et ma grande histoire
de nuages passagers
Etait mon alliée.
L’EAU SAUVAGE
Sauvage, je le suis
plus que lui ;
Mieux que lui hors de
toute main je fuis ;
Mais ces choses dont
il s’occupe
Sont plus éphémères que
mes eaux.
Qu’il cherche encore
dans mes eaux son visage,
Et l’image où les
choses s’embellissent
Et flottent sur un
courant qui tremble.
LA GRENOUILLE
Jadis il s’allongeait,
Montagne ombreuse,
près de mes renflements bleus et verts ;
Toute petite, je sentais
en lui bouger
Les immenses, humides
prés.
Aujourd’hui il apprend
les signes les plus purs pour se dessécher ;
Il fait exprès de ne
plus savoir s’incliner,
Il désapprend le vent.
MOI
Le chêne me gronde,
Le monde du vert, du
frais
Dur, éphémère,
Me prend dans sa
ronde,
M’arrondit pour
propriété.
LE MONDE
Toute richesse,
spontanément,
Chez lui s’est
offerte ;
Nous lui fîmes
largesse ;
Lui,
Il prit sanscrit,
hébreu,
Se sépara, lépreux,
Sahara monologuant
Avec le vent, le
néant.
LA VOIE LACTEE
Sa grande amicale
poitrine blessée
Au long de nous s’est
courbée avec son lait.
MOI
Les arbres pour
toujours m’ont couvert d’un langage
De feuilles, de
printemps, de fraîcheur, de rosée
Infini, inlassé
Mais aujourd’hui
Je veux être avec les
signes du monde entier,
Je veux être avec les
hommes partout dans le monde entier.
Odilon Redon, Le fanal, dit aussi La balise, 1883-1893 |
(in Le
cycle du pays natal, p. 41-43)
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