Les Poèmes de Paul Gadenne charrient des
images d'une grande force alliées à des doutes métaphysiques extrêmement
profonds.
Qu’on se le
dise : un poète, s'il veut faire œuvre, n'est pas là pour rassurer son
lecteur.
En ce sens, la poésie
de Paul Gadenne est tout autant source de beauté que d'effroi.
Ses romans sont comme
un écho de ses poèmes : il y proclame la même angoisse métaphysique et ce
sentiment d’étrangeté face à un monde et des êtres qui lui échappent par tous
les bouts.
Gadenne était croyant
mais n’allez pas croire que cela le tranquillisait pour autant. Il est tant de
personnes qui pensent, à tort, qu’un croyant est un être qui n’est plus taraudé
par aucun doute. Que l’on se détrompe sur ce point.
Paul Gadenne a vu la
mort de près suffisamment jeune pour ne pas oublier qu’en ce monde rien n’est
acquis ni à quel point la destruction rôde en nous comme un infatigable
gardien.
Ce prélude de mort est
sorti de son souffle comme un cachet de cire rouge apposé à son être le plus
intime : en langage plus commun, cela se nomme la tuberculose.
On ne peut s'aventurer
dans l’œuvre poétique de l’auteur de La
plage de Scheveningen en sifflotant, les mains dans les poches et la
conscience béate.
Certains vers semblent
s’accrocher à nous comme de la résine et l’on ne peut plus s’en
défaire : ça colle aux yeux et à l’esprit ; ça vous encercle l’âme et
reste fiché dans votre mémoire comme un couteau.
La beauté, ce n’est
pas commun. Ce n’est pas comme le langage de tous les jours. On n’y est pas
habitué.
Il est une phrase de
Charles Péguy que j'admire, issue de Victor-Marie,
comte Hugo, et qui me semble parfaitement faire corps avec l'art poétique
de Gadenne :
« Un mot n’est
pas le même dans un écrivain et dans un autre. L’un se l’arrache du ventre.
L’autre le tire de la poche de son pardessus. »
Nul besoin de préciser
que Paul Gadenne fait partie de la première sorte d’écrivain dont parle Péguy.
Je pense également à
une autre phrase d’un écrivain incandescent, François Augiéras, qui a ces mots
de feu dans Le Voyage des morts :
« Est grand poète
celui-là seul qui, s’éveillant en pleine nuit, peut s’écrier : – Je ne
rêve pas, ma vie est en accord avec mon âme. Sur quoi, il peut fermer les yeux ;
il est vainqueur. »
Pour se faire une idée
de la poésie “intranquille” de Paul Gadenne, quoi de mieux que d’offrir à la
lecture l’un de ses poèmes, intitulé Entre
mes deux épaules :
« Entre mes deux
épaules elle a planté sa voix
Puis s’est enfuie dans
la nuit.
Tous les méchants font
ainsi.
Où est-elle ?
Un train appelle
Un autre qui le suit.
Elle n’a plus de
visage
Ses yeux se sont
éteints pour moi.
Le train court il
appelle
Où est-elle où
est-elle
Dans le battement de mon
sang
Dans le milieu de mes
yeux
Entre mes vastes mains
Je cherche c’est en
vain
Entre mes deux épaules
elle a planté sa voix
Un jour sa voix
reprendra vie
Et je tomberai
transpercé. »
Après ces mots, le
silence seul serait de mise.
Je ne puis cependant
m’empêcher d’ajouter en écho ceci : la voix de Paul Gadenne s’est plantée
en moi pour n’en plus jamais ressortir.
Lorsqu’elle ne
résonnera plus en moi, c’est que je serais mort.
Léon Spilliaert, Vertigo, 1908 |
14/12/2013
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