Thibault Marconnet, Déchirure, 2013 |
Il se
tient là, debout devant moi, l’air menaçant. Nous sommes au milieu d’un cercle
de feu et la lumière est noire, tapissée de charbon.
Sa
musculature est celle d’un chêne qu’aucune hache ne saurait fendre. Il me fait
face mais je sais me défendre. Ses yeux sont injectés de sang : on dirait
deux rubis, deux fers rouges qui luisent dans l’obscurité. Le cercle de feu qui
nous environne est disposé au centre d’une clairière : maigre rempart face
à la nuit dévorante. Des gens se tiennent tout autour, gueules d’assassins aux
sourires de cran d’arrêt.
Ce n’est
pas mon premier combat, alors j’attends que pleuve la grêle des premiers coups
– avec toujours cette angoisse qui me tord le ventre…
Les
spectateurs vocifèrent et aboient comme des chiens de l’enfer. Certains se
battent, d’autres s’écorchent les lèvres à des goulots brisés de bouteilles de
vodka ; ils boivent comme ils crachent, avec mépris. Certains pissent pour
éteindre le feu mais celui-ci s’élève davantage ainsi qu’un essaim d’oiseaux
rouges.
On ne me
privera pas de ce combat, dussé-je en crever. Mon adversaire fait quelques pas
dans ma direction : ses mains sont entourées d’un linge blanc auquel sont
collés des tessons de verre. La soif du sang l’appelle et il veut que ça fuse
comme une saignée pour recouvrir jusqu’à la face pâle de la lune. Gueule de
loup, dents d’acier, il s’avance vers moi.
Je suis
pétrifié : j’ai des rochers dans les jambes et des pierres dans la bouche.
Impossible de crier, d’appeler au secours. Cette nuit, le combat sera
décisif : il signera d’un sceau de sang la mort de l’un de nous deux.
Sur ses
poings, les bris de verre reflètent l’ardeur fiévreuse du feu qui rugit tel un
monstre fou. Il s’apprête à frapper. Pile dans l’estomac. Plié en deux,
j’essaie en vain de reprendre mon souffle. Un sourire cruel se dessine sur ses
lèvres bleues. J’ai mal, je me tords de douleur et une écume blanche coule de
ma bouche.
Les gens
crient de plus belle : on dirait des hurlements de bêtes furieuses. Mon
poing droit se serre. Ce n’est pas notre premier combat mais je n’ai encore
jamais pu le frapper. Mon corps se tend et mon poing lui bondit au visage. Je
ne m’en croyais pas capable. Mon adversaire a reculé d’un ou deux pas et une
affreuse grimace envahit toute sa face.
Il me
fixe, surpris. Contre toute attente, il va plus loin et s’assied dans l’herbe
jaune, roussie par la présence des flammes. Les hurleurs qui entourent notre
cercle de feu se sont tus. Tout semble revenu au silence. La nuit épaisse
reflue comme une marée basse laisse apparaître un sable d’or fin. Le feu
diminue d’intensité. J’ai toujours horriblement mal mais au moins je me tiens
debout. Les spectateurs s’en vont, silencieux.
Je
commence à percevoir les premiers chants d’oiseaux qui annoncent la venue de
l’aurore. Désormais, le feu s’est éteint et la nuit n’est plus que cendres. Une
lumière monte au ciel et s’agrandit. Mon adversaire me salue et se retire à son
tour, un sourire narquois aux lèvres.
Ce n’est
pas notre dernier combat, je le sais pertinemment. Mais ce soir, j’ai fait
quelque chose d’inattendu. Dans les crocs boueux de la nuit, j’ai frappé mon
ennemi au visage et rien ne le préparait à cela. Alors il s’en va dans le matin
naissant, enveloppé de brume.
Un soir
prochain, le combat reprendra mais je me sais plus fort désormais. Car cette
nuit, j’ai boxé ma peur et je lui ai fait mal. Mon poing se desserre et la
lumière du jour vient guérir mon corps meurtri.
© Thibault Marconnet
15/05/2014
Thibault Marconnet, Le visage capturé, 2007 |
En effet, mon cher Jimmy et j'y compte bien. Le seul être qui puisse me gêner dans mon chemin et me mettre des bâtons dans les roues, c'est moi-même : ma part de ténèbres. Je vais continuer de les boxer, cette peur et cette tentation destructrice - et leur faire de plus en plus mal jusqu'à ce qu'elles me fichent la paix.
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