Le Fumier de Job de Bernard Lazare est un terrible brûlot – et
c’est une tâche bien ardue que d’essayer d’en parler.
Pour commencer, il est
bon de rappeler certaines choses.
Bernard Lazare fut
l’un des premiers chefs de file du mouvement dreyfusard aux côtés d’Emile Zola
notamment.
Avant la condamnation
inique de Dreyfus, ce juif sécularisé ne savait pas ce que son appartenance
juive pouvait impliquer face à la bêtise crasse de l’antisémitisme.
Les juifs non
assimilés lui faisaient horreur. Car il se sentait français avant tout.
Il dit lui-même qu’il “ignorait”
tranquillement sa judéité, avant de prendre conscience que le seul fait de
naître juif était une tache aux yeux de dangereux imbéciles.
Après s’être “réveillé
juif”, il ne lui était plus possible de fermer les yeux face à l’ampleur du
désastre.
Le Fumier de Job est un livre qui déplaira fortement aux
intégristes de tous bords – et c’est tant mieux.
De manière plus
générale, toute personne ayant un regard étriqué, maudira ce livre.
Car il n’est pas fait
pour les tièdes.
Bernard Lazare a des
mots très durs envers un certain catholicisme – ce que je puis parfaitement
comprendre.
Dans un passage de son
livre, il considère Jésus comme un vagabond pauvre et révolté qui a été souillé
et avili en étant élevé au rang d’un dieu.
Ces mots seront durs à
entendre pour des chrétiens. J’ai eu moi-même à endurer la brûlure de cette
gifle littéraire. Mais il est des moments dans l’Histoire où seul le tonnerre
peut être entendu et seule la foudre, être vue.
Pour ma part, j’aime à
être réveillé de ma léthargie. Et quand les mots se transforment en fouets pour
combattre l’ignorance, l’injustice et la lâcheté, je ne peux que souscrire à
cela de toute mon âme.
Bernard Lazare
poursuit en affirmant une terrible réalité : à savoir que le Christ sur la
croix préfigure toutes les attaques menées depuis contre le peuple Juif ; ce
peuple qui fut traité de “déicide”. Car, ne l’oublions pas, cela arrangeait
fort bien le clergé que de pouvoir désigner un bouc émissaire afin d’asseoir davantage
sa position temporelle et politique.
René Girard, dans son
admirable livre La violence et le sacré,
montre à quel point l’élection d’une victime émissaire sert à polariser la
violence hors de la communauté – en l’établissant sur un individu choisi.
C’est une bien pauvre aubaine,
pour les consciences lâches et endormies, que de pouvoir désigner des êtres en
tant que coupables de tous les maux.
Charles Péguy – chrétien
“hétérodoxe” par excellence –, était un fervent admirateur de Bernard Lazare.
Il a d’ailleurs écrit sur lui des pages sublimes dans Notre jeunesse.
Le Fumier de Job est un livre qui crache du feu ; les mots
y jaillissent comme des flammes.
Qu’on soit ou non
d’accord avec certaines de ses affirmations – qui sont d’ailleurs à replacer
dans un contexte particulier –, on ne peut hélas qu’être de son côté quant à la
dénonciation des persécutions subies par les juifs après la mise à mort du
Christ par les Romains.
L’écriture de Bernard
Lazare est une lave de lumière. Nul mieux que lui ne pouvait briser les lignes populistes
d’Edouard Drumont.
C’est un livre qui
enflamme le bois pourri de toutes les poutres logées dans notre œil.
La paille y reçoit
elle aussi le sceau du feu, afin que soit enfin brûlée toute bassesse, d’où
qu’elle vienne.
Bernard Lazare a
choisi un chemin de chèvre vertigineux, en ne faisant aucune concession aux
catholiques intégristes et aux juifs soumis à ceux-là.
Parmi tant de lâches,
il s’est élevé contre la froide injustice et sa parole incendiaire a tonné haut
et fort.
Qu’une telle voix soit
à ce point méconnue ou ignorée de nos jours : voilà qui est une bien
grande tristesse.
Ce livre est un
incendie pour brûler toutes les langues de bois du mensonge.
© Thibault Marconnet
18/12/2013
Alfred Kubin, Job, 1901 |
Des hommes d'une trempe politique tels que Bernard Lazare, nous font cruellement défaut par les temps qui courent... Des hommes comme Jaurès également ou encore Clémenceau. Ce livre balaye tout un tas de préjugés bien confortables et rassurants ; c'est un incendie pour brûler le mensonge de toutes les langues de bois.
RépondreSupprimerOui, Chris, je n'y ai pas forcément tellement songé en postant ce billet, mais je me rends compte, après coup, que la lecture d'un tel livre est plus que jamais nécessaire en cette époque de montée des fanatismes et où l'antisémitisme prend un sinistre essor...