Francisco de Goya, El tio Paquete, 1819-1820 |
Devise du chevalier de
Bonplaisir :
« Mon plaisir est un bon plaisir. »
Dialogue entre le chevalier de Bonplaisir et
le chevalier de Tristemine :
« Or donc, chevalier de Bonplaisir, vous
comptez nous quitter avant la fin de cette guerre ? – Si fait, chevalier de
Tristemine. – Pour quelle raison ? Êtes-vous blessé ? – Non point. Je
m’en vais rejoindre ma dame en mon royaume. – Que voulez donc y faire ?
Seriez-vous lâche ? – Cette guerre me fatigue. Je compte me recueillir
auprès de la fontaine parsemée de mousse ; baiser les monts jumeaux sur
lesquels reposent deux petits joyaux qu’un souffle humide ranime ; troquer
ma cape rougie pour un drap de lin blanc puis ranger mon épée dans le fourreau.
Le sang a trop coulé : place aux ruisseaux d’eau vive et de
lait ! »
Dialogue entre le chevalier de Bonplaisir et
le chevalier de Belliqueux :
« L’ennemi bat en retraite, chevalier de
Bonplaisir, sus à lui ! (Le chevalier de Bonplaisir, le bien nommé, durant
ce temps, est occupé à vider le contenu d’un tonneau de bon vin, abandonné là
par l’ennemi.) – Or çà, chevalier de Bonplaisir, ce n’est point du vin qu’il
faut boire en cette heure, c’est le sang de l’armée ennemie qu’il nous faut
vider jusqu’à la lie ! – Chevalier de Belliqueux, vous m’excuserez mais je
ne bois pas de ce raisin là. – Vous n’êtes qu’un tire-au-flanc,
chevalier de Bonplaisir ! – Je me qualifierais bien plutôt de
“tire-au-jus”, ne vous déplaise. – Ce n’est point cotte de maille, haubert et
tranchante épée que vous êtes digne de porter, mais bien plutôt les frusques
efféminées de ces donzelles chantantes que l’on nomme ménestrels ! De
misérables pleutres sans une goutte de virilité ! – Ainsi donc, chevalier
de Belliqueux, j’aurais l’heur de pouvoir courtiser votre dame qui doit être
bien dolente sans caresses. Car, voyez-vous, chevalier de Belliqueux, aux
délices de l’amour je n’ai point mon pareil, je suis un véritable « maître
queux » ! (Le chevalier de Belliqueux, courroucé et offusqué dans son
amour-propre, s’apprête à corriger le chevalier de Bonplaisir de son impudence
lorsqu’un boulet de canon vient le fendre en deux.) – Avez-vous entendu ce
sifflement, chevalier de Belliqueux ? Sans doute des oiseaux qui font la
noce ! Il me semble que l’ennemi est encore bien loin, je m’en vais cuver
agréablement ce vin exquis. » (Ce disant, il s’endort, bien protégé contre le
ventre d’un tonneau).
Dialogue entre le chevalier de Bonplaisir et
le chevalier de Durevie :
(Le chevalier de Durevie et le chevalier de
Bonplaisir sont assis sous un pommier durant une trêve. Le chevalier de Durevie
s’échine à secouer le pommier pour faire tomber des fruits en vain.) « Allons,
chevalier de Bonplaisir, daignez donc me secourir en cette aventure, j’endure
force tracas avec cet arbre ! Le bougre ne veut point laisser tomber ses
fruits ! (Le chevalier de Bonplaisir, allongé sous l’arbre, rêvasse.) –
Voyons, chevalier de Durevie, profitons plutôt de cette trêve pour jouir d’un
repos bien mérité. (Le chevalier de Durevie se met à grimper laborieusement
dans le pommier.) – Chevalier de Bonplaisir, vous n’êtes qu’un fainéant. – Si je faisais du néant,
chevalier de Durevie, comment cette clairière dans laquelle nous sommes et cet
arbre fruitier sous lequel nous nous abritons du soleil pourraient-ils encore
exister ? (Le chevalier de Durevie soupire d’agacement et souffle comme un
bœuf pour atteindre des pommes sur une branche.) – Vous me donnez le vertige,
chevalier de Durevie, vous vous menez la vie bien dure ! On est tellement
mieux adossé contre ce tronc à regardez voler les papillons en humant ce doux
parfum estival. Ah ! le plancher béni des vaches ! (Le chevalier de
Durevie sent la branche craquer sous son poids et il s’étale de tout son long
accompagné dans sa chute par plusieurs pommes bien rouges.) (Le chevalier de
Bonplaisir, les yeux fermés, entend le bruit des pommes qui tombent et le cri
que pousse le chevalier de Durevie) – Vous voyez, chevalier de Durevie, Dieu
pourvoit à tout, point n’est besoin de s’échiner inutilement. La Providence, de
sa trompette sonore nous avertit que les pommes sont tombées toutes seules.
Profitons de ce miracle, chevalier de Durevie et faisons donc bombance ! » (Le chevalier de Durevie, le visage barbouillé de pommes écrasées, furieux,
mais la jambe démise, écume de rage en serrant les dents dans une allure qu’il
essaie de rendre la plus stoïque possible).
Dialogue entre le chevalier de Bonplaisir et
Sa Majesté le Roi :
(Le Roi reçoit le chevalier de Bonplaisir dans sa
tente royale.) « Laissez-moi vous dire, chevalier de Bonplaisir, que vos actes
ne font pas mon plaisir. Ce que j’entends dire de vous durant cette campagne me
navre profondément. – Quels mots à mon compte ont donc pu navrer votre
Majesté ? – J’ai entendu dire que vous agissiez au combat sans montrer
grand courage, pour ne pas dire sans faire état d’une certaine veulerie. –
Sire ! que sont ces calomnies ?! Je jure que jamais de ma vie je n’ai
participé à un combat. Comprenez, j’aime avoir les mains propres quand je mange,
et le sang, cela tache grandement. – Chevalier de Bonplaisir, votre impudence a
des limites ! Si je m’écoutais, ainsi que ceux qui me conseillent à votre
endroit, je devrais vous châtier pour vos paroles impies !
Agenouillez-vous devant votre Roi, et faites pénitence ! – Majesté, j’ai
peine à vous dire cela, mais je ne suis point habitué aux génuflexions. Lorsque
enfant, je tétais goulûment le sein gonflé de ma mère, je fis une chute atroce
qui m’enleva à la douceur du lait maternel. C’est sur mes genoux que je tombais.
Depuis lors, j’ai la rotule fragile. Que votre gracieuseté me pardonne. (Le Roi
est cramoisi de colère.) – Chevalier de Mondéplaisir, je ne sais ce qui me
retient de vous envoyer en exil et de vous destituer de vos titres de
noblesse ! – Si votre Noble Grandeur Sans Pareille m’autorise de formuler
une hypothèse : peut-être est-ce dû au fait que vous êtes marié à ma sœur
et que la douce jeune femme aux hanches si bien faites pour l’amour vous
condamnerait à l’abstinence jusqu’à la fin de vos jours ? Car cette tendre
âme me chérit comme son propre fils ! Comprenez, elle fut comme une mère
pour moi lorsque la nôtre vint à trépasser. Paix à son âme. (Le Roi fait les
cent pas dans sa tente. Il semble embarrassé. Ses mains tremblent, de la sueur
perle de son front royal et une odeur de rance sueur se répand.) – Vous avez
beau ne point aller au combat, chevalier de Bonplaisir, toujours est-il que
vous empestez ! Vous pourriez au moins prendre soin de votre
toilette ! – Très cher Sire, vous perlez, laissez-moi donc éponger votre
illustre front et vos majestueuses joues de cet humble mouchoir dont je suis
propriétaire. (Le Roi fait un mouvement de recul en arborant une mine irritée.)
– Assez ! Ne me touchez pas ! Si Diane aux Blanches Cuisses, votre
aimable sœur, n’était point mon épouse, croyez-moi que j’aurais tôt fait de
vous faire mettre aux fers et soumettre à la torture. Au moins, je sais que
vous brûlerez dans les flammes de l’enfer ! Suppôt de Satan que vous
êtes ! – Il me suffit que le gigot y soit bien cuit et que moult ribotes y
soient données. – Sortez de ma tente immédiatement et que je n’ai plus à vous
recroiser céans ! Vous êtes autorisé bien malgré moi à continuer cette
guerre avec l’indolence qui vous caractérise, mais s’il ne tenait qu’à moi… – Ma
chère sœur sans doute ? – Taisez-vous, chevalier de Bonplaisir et que je
ne vous revoie plus ! Je ne prierai point pour votre âme, elle est d’ores
et déjà damnée, je sens s’exhaler de vos chairs l’odeur du soufre ! – Que
votre Majesté ne se donne point cette peine : il est en Bretagne une
abbaye de moniales qui prient pour le salut de mon corps, les douces
oiselles ! » (Le chevalier de Bonplaisir accomplit une révérence
désarticulée et sort prestement, en évitant de justesse la couronne du Roi, que
celui-ci, dans sa fureur déchaînée, vient de lui lancer).
Dialogue entre le chevalier de Bonplaisir et
le chevalier de Tantale :
« Chevalier de Bonplaisir, pourquoi vous
empiffrez-vous de la sorte ? – Noble chevalier de Tantale, comprenez donc,
ce faisant, l’ennemi n’aura rien à se mettre sous la quenotte s’il lui prend
l’idée saugrenue de s’exténuer à envahir notre camp. – Prenez plutôt exemple
sur ma personne, chevalier de Bonplaisir, moi qui sais me modérer. – Je
compatis doublement, chevalier de Tantale car je connais votre appétit pour le
jeûne forcé. – Si ce sont là moqueries, elles ne m’amusent point du tout !
N’avez-vous point honte de vous goberger comme cela ? – Si je mange ainsi,
croyez bien que c’est pour vous épargner l’affreux péché de gourmandise. Je
prends donc votre éventuel péché sur mon ventre repu. – Vous êtes un
blasphémateur et un hérétique ! – J’avoue que je pèche souvent par excès
de franchise. Après tout, sommes-nous des Francs, oui ou non ? Ou bien des
hypocrites ? – Nous sommes des hommes marqués du sceau divin, chevalier de
Bonplaisir. Le mensonge est dans la bouche du Diable. – Alors votre bouche sent
l’odeur des chairs roussies en enfer, chevalier de Tantale, car je vous vis,
hier au soir, vous vanter devant le Roi d’avoir vaillamment combattu contre dix
chevaliers de haute lignée et de les avoir tous occis. Et pourtant, à y bien
regarder, je n’ai vu, vous faisant face dans le champ, qu’un percheron
famélique qui broutait l’herbe paisiblement. (Le chevalier de Tantale se met à
rougir.) – Chevalier de Bonplaisir, j’espère bien que rien de tout ceci ne sera
répété au Roi ! – Sinon quoi ? Faudra-t-il que j’aille quérir la
jeune bergère que vous étreignîtes sauvagement dans le pré voisin la nuit
dernière et l’amener témoigner devant notre Illustre Epouvantail coiffé d’une
couronne ; et qu’elle fasse donc mentir cette fameuse chasteté dont vous
vous enorgueillissez tant ? (Le chevalier de Tantale se signe.) – Je ne
voulais pas faire la guerre, chevalier de Bonplaisir, mon vœu était d’entrer
dans un monastère ! – Eh bien, que ne le fîtes-vous ? (Le chevalier
de Tantale, bafouille à demi.) – Mais… Malheur ! C’est que j’aime trop la
chair ! (Le chevalier de Bonplaisir esquisse un geste rassurant.) – Si ce
n’est que cela, il y a là de quoi vous satisfaire ! Goûtez donc de ce bon
sanglier que j’ai trouvé défunt dans le berceau de la forêt. (Le chevalier de
Tantale sort un fouet et commence à se mortifier.) – Ayez pitié, mon
Dieu ; les fesses, les seins, les hanches cambrées, tout cela me rend fou
et danse devant mes yeux comme une alléchante et terrible tentation ! (Le
chevalier de Bonplaisir lui tend un morceau de sanglier.) (Le chevalier de
Tantale esquisse un haut le cœur.)
– Arrière avec cette viande sanguinolente ! Ce n’est point cela qui
me ronge l’âme et le corps ! (Le chevalier de Bonplaisir va dans le pré
voisin et ramène à son bras une jeune bergère.) – Je crois que j’ai trouvé ce
qui convient plus à votre goût ! – Oh ! doux Jésus ! Chevalier de
Bonplaisir, que cette créature est appétissante ! Mais je n’ose… – Allons
bon, j’ai déjà pris sur moi le péché de gourmandise, je puis bien endosser le
justaucorps de la luxure. Je m’occuperai d’elle pour que vous puissiez rester
pur comme la neige et n’être point souillé en vôtre âme. J’en fais mon
affaire ! – Et je devrais rester là à vous regarder ? Mais vous êtes
un véritable démon, chevalier de Déplaisir ! – Ne me remerciez pas, je
vous absous, vos mirettes pourront se délecter à leur aise. Il vous faudra
seulement endurer en vous le péché de l’envie : vous ne goûterez qu’avec
les yeux cette fois-ci ! » (Tandis que le chevalier de Bonplaisir s’occupe à
lutiner la jeune bergère, le chevalier de Tantale, quant à lui, dépité, se
mortifie avec une conviction de plus en plus molle).
Dialogue entre le chevalier de Bonplaisir et
l’archer Telguillaume :
« Chevalier de Bonplaisir, vous plairait-il que
je vous enseigne mon art ? – Archer Telguillaume, si votre art s’apparente
à un doux repos sous l’ombre d’un pommier, je suis votre homme ! – Il y a
bien une histoire de pommes et d’homme mais il ne s’agit point de dormir. Un
homme de troupe s’accolera contre un poteau avec une pomme posée sur sa tête et
je devrais la toucher du premier coup ! – Diantre ! Archer Telguillaume
voilà qui est bien fastidieux et présomptueux quand un couteau suffit amplement
à découper une pomme en quartiers. À quoi bon toutes ces parades ? – C’est
que vous n’entendez point encore la subtilité de mon art. – Mais enfin, quelle
grandeur peut-il y avoir à planter une flèche dans une pomme ? Il n’est
point besoin d’arc pour ce faire. Je m’en vais vous le démontrer sur
l’heure ! (Le chevalier de Bonplaisir prend une flèche et la plante dans
une pomme bien juteuse.) – Et voilà toute l’affaire, archer Telguillaume !
– Juste ciel ! Chevalier de Bonplaisir, mais que faites-vous de l’exploit,
de l’amour du risque ? – Cela je crois qu’il faudrait le demander à
l’homme de troupe dont le crâne servira de reposoir à votre fruit. Que
ferez-vous s’il y a un pépin ? – Parbleu ! Chevalier de Bonplaisir,
ce ne sont point des pommes vides dont je me sers ! J’espère bien qu’il
n’y aura pas qu’un seul pépin mais bien plusieurs si Dame Nature a bien fait
son œuvre ! – Je ne suis pas de la dernière ondée, archer Telguillaume.
Cependant, supposons que vous vous trompiez de lettre par un fâcheux manquement
à l’orthographe et qu’au lieu de la “pomme”, vous n’atteignez l’“homme” ?
À tout le moins, veillez à ne point viser la pomme d’Adam. – Chevalier de
Bonplaisir, que viennent faire les Ecritures en cette affaire ? Je ne vois
nul serpent et encore moins nos Eve tentatrices qui, bien calfeutrées en nos
domaines, ne nous peuvent point déranger. – Oh, pourtant, archer Telguillaume,
cela me démange bien souvent d’avoir l’habit dérangé par une créature du beau
sexe ! – Vous n’êtes qu’un voluptueux, chevalier de Bonplaisir ! –
Votre compliment me va droit au cœur, archer Telguillaume. – Assez de basses
plaisanteries, passons directement au but de notre exercice. Je connais votre
veulerie légendaire pour ce qui est du combat à l’épée et c’est pourquoi je me
propose de vous apprendre un peu de l’art que je possède. – Un peu de
lard ? Mais que ne le disiez-vous plus tôt ? Ah ! vous faites
mon plaisir désormais ! Soyez généreux, archer Telguillaume et faites m’en
profiter ! – Je suis heureux de vous voir revenu à des sentiments plus
nobles, chevalier de Bonplaisir. Homme de troupe, allez vous placer contre le
poteau. Mais ne tremblez point comme une feuille morte, voyons ! (Il
s’adresse au chevalier de Bonplaisir.) – Ils savent bien pourtant que je suis
passé maître en l’art que je pratique ! Que peuvent-ils donc
craindre ? – Un mauvais coup de broche peut-être, archer
Telguillaume ? Et pourtant, quand on compte faire le délice de quelqu’un
avec un peu de tendres morceaux salés, on aurait bien tort de trembler pour sa
couenne ! – Je ne vous le fais pas dire, chevalier de Bonplaisir. Mais
regardez, cet homme de troupe trempe à présent ses chausses ! Voilà qui
est bien honteux si nous avons de tels couards dans l’armée de Sa
Majesté ! (Le chevalier de Bonplaisir, à part : – Je salive d’avance
à l’idée d’une bonne pièce de viande !) – Je vous prêterai mon arc et mes
flèches une fois mon coup d’éclat accompli, chevalier de Bonplaisir. À présent,
regardez comme je bande bien mon arc ! – J’en fais tout autant, archer
Telguillaume ! Et croyez bien qu’il bande ferme ! (L’archer
Telguillaume décoche une flèche qui vient se loger dans la poitrine de l’homme
de troupe et celui-ci s’écroule dans un râle.) (Le chevalier de Bonplaisir,
admiratif du vol de la flèche ne voit pas l’homme de troupe qui agonise à
terre.) – Archer Telguillaume, si vous décochez aussi bien aux arts de l’amour,
vous devez être un fameux galant ! (L’archer Telguillaume regarde, agacé,
l’homme de troupe affalé dans son sang.) – Je l’avais bien dit qu’il tremblait
trop ! Chevalier de Bonplaisir, il ne faut jamais juger du premier
coup ! Croyez bien que le prochain sera le bon ! (Le chevalier de
Bonplaisir voit l’homme de troupe étendu, la flèche fichée dans sa poitrine.) –
Si c’est de ce lard là que vous comptiez m’offrir, archer Telguillaume, je vous
le laisse volontiers ! Et croyez bien que je m’estime dupé ! Au moins
la pomme ne sera point perdue. (Il saisit la pomme intacte tombée au sol et
commence à croquer dedans.) – Mais cette pomme est pourrie, archer
Telguillaume ! Et votre lard est trop humain à mon goût ! Vous avez
décidément des mœurs pour le moins étranges ! Je m’en retourne à ma tente
où un bon quartier de viande bien cuite attend mon palais qui salive !
Vous m’avez affamé avec toutes vos fausses promesses ! (L’archer
Telguillaume est gêné.) – Attendez donc, chevalier de Bonplaisir, je vais
rappeler un autre homme de troupe et cette fois j’atteindrais la pomme ! –
Archer Telguillaume, si pour vous les pommes sont des hommes et si votre lard
sent le bipède humain, sachez que je ne mange point de ce pain là ! Vous
feriez bien mieux de bander autre chose de plus utile ! » (Il s’en va,
laissant l’archer Telguillaume, désappointé, qui regarde piteusement son arc
débandé).
Dialogue entre le chevalier de Bonplaisir et
le Pape :
« Chevalier de Bonplaisir, j’ai ouï dire par Sa Majesté le
Roi que vous n’étiez pas très combatif en cette guerre. – Très Saint Pair, comme
vous je peux même me flatter de ne jamais participer aux luttes sanglantes qui
enchantent mes frères d’armes ; à moins qu’il ne s’agisse d’une pièce de
gibier bien sanglant ! – Vous êtes indigne de votre titre, chevalier de
Bonplaisir ! – Au contraire, votre Sainteté, je trouve que mon nom me va
comme un gant de velours. Je ne pouvais trouver meilleur tailleur ! (Le
Pape prend un air courroucé.) – Chevalier de Bonplaisir, vous vous gorgez de
vice comme un cochon de détritus ! Et l’ennemi, qu’en faites-vous ?
Notre guerre est juste, ne l’oubliez point, or donc il vous faut porter
l’estocade dans les flancs de nos adversaires ! – Mais Très Sainte Paire,
ministre du Seigneur mon Dieu, il est dit dans le Décalogue qu’il ne faut point
tuer son prochain. – L’ennemi n’est point notre prochain ! – Pourtant,
Votre Eminence, leur camp n’est pas si éloigné du nôtre, il en est même assez
proche ! – Rappelez-vous, chevalier de Bonplaisir, que Jésus lui-même a
dit qu’il était venu apporter le glaive. – Que Votre Illustrissime Sainteté me
pardonne mais celui que j’ai entre les cuisses me convient très bien pour les
joutes amoureuses ! – Vous n’êtes qu’un débauché, chevalier de Bonplaisir,
un satyre ! Je vous ferai excommunier ! – Et que faites-vous du
cardinal et archevêque de Bonplaisir, mon très cher oncle ? – Pourquoi me
parlez-vous de lui en cette affaire ? Je puis bien décider seul de vous
excommunier, voire même de vous soumettre à la question ! Car il me semble
que vous suez le Diable par tous vos pores ! – Si le Diable est un porc,
croyez bien que je lui aurais vite réglé son compte, Illustre Sainte Paire !
Et qu’il rôtira sur un tournebroche ! – Assez de vos propos outranciers,
chevalier de Bonplaisir ! – Mais, doux Saint Pair, il me semble que vous
considérez l’archevêque et cardinal de Bonplaisir comme votre propre frère. Je
n’oserai point m’avancer plus, mais de sa propre bouche, je l’ai pu entendre
dire que votre entente fraternelle allait même jusqu’à de certains
rapprochements… (Le Pape devient rouge.) – Chevalier de Bonplaisir, il
suffit ! N’oubliez point à qui vous vous adressez ! – Oh non !
Je n’oublie point ! J’ai bonne mémoire, rassurez-vous ! Après tout,
il arrive que des frères partagent le même berceau. Mais il me semble que
soumettre à la question et excommunier une âme qui est presque de votre
famille, cela n’est point très charitable. Songez comme mon oncle me porte une
tendre affection, lui qui entra dans les ordres car il détestait la vue du sang
humain. C’est de lui que me vient l’amour de la bonne chère. Pour les femmes et
les plaisirs de la chair, il m’a fallu par contre me former seul. Songez un
instant à l’immense tristesse et au déplaisir profond que vous lui causeriez,
vous qui le chérissez comme un frère – et qui avez pour lui de ces bontés…
(Le Pape saisit sa mitre dans ses mains et la serre de fureur comme on
essorerait un linge humide.) – Assez, chevalier de Basplaisir ! Je ne veux
plus entendre une seule parole sortir de votre bouche impie ! Vous êtes
pire que le démon ! Soit ! Puisqu’une tendresse fraternelle m’unit à
votre oncle, je ne vous ferai point excommunier ni n’en appellerai à
l’Inquisiteur Froideroche. Mais vous ne l’emporterez pas au Paradis !
C’est l’enfer qui vous attend ! – Peut-être y serons-nous voisins…? » (Le
Pape, dont la mitre est presque en charpie à force de la tordre entre ses
mains, s’en va, rouge de colère).
© Thibault Marconnet
Février - Mars 2011