Lisbonne, la sirène sortie des eaux du Tage, octobre 2015 |
Au
soleil poudreux du matin le Tage brillait, blanc et bleuté comme le ventre d’une
baleine endormie. Manoel marchait sur la colline du Bairro Alto, traversant des
ruelles dont les murs s’effritaient ainsi que des poissons qu’on écaille. La faïence
des azulejos portait d’ailleurs témoignage du proche océan : bleu de l’eau
et blancheur de l’écume. Du linge bariolé pendait aux fenêtres, des femmes se
saluaient d’une maison à l’autre, étouffant un bâillement sur la paume de leurs
mains rongées par les lessives. Manoel, narines grandes ouvertes, aspirait à
pleins poumons les odeurs de café, de tabac, de sel, de linge mouillé, de
savon, de friture qui s’étendaient dans ce quartier populaire de la vieille
Lisbonne.
Il
avait rendez-vous avec José, le vieil anarchiste de la Praça das Flores. Ce
dernier, assis sur son banc coutumier, la pipe aux lèvres, interpella le
promeneur matinal :
« Hé,
Manoel ! J’ai bien cru que tu n’allais jamais venir. Suis-moi, on va aller
boire un bon café bien noir histoire de nous remettre les idées en place.
-
Salut José ! Comment vas-tu, vieux frère ? »
Les
deux hommes se serrèrent la main avec chaleur.
« Dis-moi
Manoel, est-ce que tu as vu la sirène ce matin ? Ça fait des jours que je
guette son apparition.
-
Tu veux parler d’Ofélia, la sirène du Tage ? Non, je ne l’ai pas vue. Elle
doit sans doute se cacher, répondit l’autre.
-
C’est embêtant quand même, marmonna le vieux José en grattant sa tignasse
ébouriffée du bout des ongles. J’ai l’impression qu’elle ne veut plus se
montrer. Tu crois qu’on lui a fait peur ? demanda José.
-
Possible, avec les hurlements stridents des sirènes de la police, ça ne doit
pas vraiment lui donner envie de sortir sa tête hors de l’eau.
-
N’empêche, Manoel, son chant me manque sacrément… Qui va offrir de la poésie
aux gens si elle a décidé de ne plus chanter ? Ah ! bougres de
satanés flics avec leurs maudites sirènes du diable ! tempêta le vieil
anarchiste. Ma parole, on se croirait à New York ! m’a dit mon frère Luis la
dernière fois qu’il est venu me voir depuis les États-Unis.
-
C’est bien malheureux José, mais que veux-tu qu’on y fasse ?
-
Viens Manoel, toi et moi on va s’asseoir sur ce banc et on va rêver si fort que
la sirène finira bien par revenir. »
Sous
un arbre centenaire, à défaut du chant tant attendu de la sirène, Manoel et
José eurent droit comme concert au barrissement laid et vulgaire d’un gros
paquebot de plaisance qui mouillait dans le port. Alors, d’un accord tacite,
nos deux amis se bouchèrent les oreilles pour continuer de rêver en paix.
© Thibault Marconnet
le 06 novembre 2015
Ola, Manoel, la sirène du Tage se repose maintenant dans l'anse de Camfrout à Kerhuon.
RépondreSupprimerLisbonne est une ville extraordinaire. D'ailleurs tout le Portugal est fantastique.
Ola Keith ! Je ne savais pas que la sirène du Tage avait trouvé refuge dans l'anse de Camfrout à Kerhuon. Si tu en as l'occasion un jour, salue-la de ma part. En effet, je ne te le fais pas dire, Lisbonne est une ville merveilleuse, qui prodigue du rêve à n'en plus finir. Merci beaucoup pour ton passage et ton commentaire ! Obrigado !
RépondreSupprimerBonsoir Chris,
RépondreSupprimerJe suis content de savoir que ces photos te plaisent ! C'est un peu ma propre vision de Lisbonne, l'attention portée à des détails que la plupart ne voient pas. J'ai un amour inconditionnel pour les matières, pour ce qui a subi l'épreuve du temps.
Je te souhaite de pouvoir un jour visiter Lisbonne : son mystère et son charme sont irrésistibles.
Un grand merci pour ton passage !