samedi 7 novembre 2015

La sirène

Lisbonne, la sirène sortie des eaux du Tage, octobre 2015



Au soleil poudreux du matin le Tage brillait, blanc et bleuté comme le ventre d’une baleine endormie. Manoel marchait sur la colline du Bairro Alto, traversant des ruelles dont les murs s’effritaient ainsi que des poissons qu’on écaille. La faïence des azulejos portait d’ailleurs témoignage du proche océan : bleu de l’eau et blancheur de l’écume. Du linge bariolé pendait aux fenêtres, des femmes se saluaient d’une maison à l’autre, étouffant un bâillement sur la paume de leurs mains rongées par les lessives. Manoel, narines grandes ouvertes, aspirait à pleins poumons les odeurs de café, de tabac, de sel, de linge mouillé, de savon, de friture qui s’étendaient dans ce quartier populaire de la vieille Lisbonne.








Il avait rendez-vous avec José, le vieil anarchiste de la Praça das Flores. Ce dernier, assis sur son banc coutumier, la pipe aux lèvres, interpella le promeneur matinal :
« Hé, Manoel ! J’ai bien cru que tu n’allais jamais venir. Suis-moi, on va aller boire un bon café bien noir histoire de nous remettre les idées en place.
- Salut José ! Comment vas-tu, vieux frère ? »
Les deux hommes se serrèrent la main avec chaleur.







« Dis-moi Manoel, est-ce que tu as vu la sirène ce matin ? Ça fait des jours que je guette son apparition.
- Tu veux parler d’Ofélia, la sirène du Tage ? Non, je ne l’ai pas vue. Elle doit sans doute se cacher, répondit l’autre.
- C’est embêtant quand même, marmonna le vieux José en grattant sa tignasse ébouriffée du bout des ongles. J’ai l’impression qu’elle ne veut plus se montrer. Tu crois qu’on lui a fait peur ? demanda José.
- Possible, avec les hurlements stridents des sirènes de la police, ça ne doit pas vraiment lui donner envie de sortir sa tête hors de l’eau.
- N’empêche, Manoel, son chant me manque sacrément… Qui va offrir de la poésie aux gens si elle a décidé de ne plus chanter ? Ah ! bougres de satanés flics avec leurs maudites sirènes du diable ! tempêta le vieil anarchiste. Ma parole, on se croirait à New York ! m’a dit mon frère Luis la dernière fois qu’il est venu me voir depuis les États-Unis.
- C’est bien malheureux José, mais que veux-tu qu’on y fasse ?
- Viens Manoel, toi et moi on va s’asseoir sur ce banc et on va rêver si fort que la sirène finira bien par revenir. »




Sous un arbre centenaire, à défaut du chant tant attendu de la sirène, Manoel et José eurent droit comme concert au barrissement laid et vulgaire d’un gros paquebot de plaisance qui mouillait dans le port. Alors, d’un accord tacite, nos deux amis se bouchèrent les oreilles pour continuer de rêver en paix.


© Thibault Marconnet

le 06 novembre 2015













3 commentaires:

  1. Ola, Manoel, la sirène du Tage se repose maintenant dans l'anse de Camfrout à Kerhuon.
    Lisbonne est une ville extraordinaire. D'ailleurs tout le Portugal est fantastique.

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  2. Ola Keith ! Je ne savais pas que la sirène du Tage avait trouvé refuge dans l'anse de Camfrout à Kerhuon. Si tu en as l'occasion un jour, salue-la de ma part. En effet, je ne te le fais pas dire, Lisbonne est une ville merveilleuse, qui prodigue du rêve à n'en plus finir. Merci beaucoup pour ton passage et ton commentaire ! Obrigado !

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  3. Bonsoir Chris,
    Je suis content de savoir que ces photos te plaisent ! C'est un peu ma propre vision de Lisbonne, l'attention portée à des détails que la plupart ne voient pas. J'ai un amour inconditionnel pour les matières, pour ce qui a subi l'épreuve du temps.
    Je te souhaite de pouvoir un jour visiter Lisbonne : son mystère et son charme sont irrésistibles.
    Un grand merci pour ton passage !

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