samedi 14 novembre 2015

Les mots

Thibault Marconnet, Déchirure des mots, avril 2010

Depuis des milliers d’années les mots doux sont en guerre avec les gros mots. Et, comme les mots doux ont un caractère résolument pacifiste, ils lancent des fleurs qui sont souvent piétinées par les lourds sabots des gros mots. Les mots lourds, austères et rigides, essayent tant bien que mal de faire respecter un minimum d’ordre au sein de ces conflits qui font couler beaucoup d’encre.
Sur le fil d’une plume les mots légers, quant à eux, s’épanouissent au soleil et fraternisent bien souvent avec les mots doux que les bouches des amants s’échangent entre deux étreintes, entre deux baisers. Les mots légers sont habillés d’un fin manteau de soie bleue et dorée. Les mots doux, d’un léger voile. De leur côté, les gros mots sont toujours nus et sales : ils aiment à se rouler dans la crasse et la boue, laquelle éclabousse bien souvent ceux qui les reçoivent. D’ailleurs, les gros mots s’introduisent chez les gens sans aucune délicatesse et plus ils font mal, mieux ils se portent.
Les mots lourds sont vêtus avec la pompe et le sérieux des habits de magistrats. Les mots graves, plus anciens, ont pour but de les seconder dans leur tâche afin que la loi de la jungle soit contrecarrée le plus possible. Ce qui est loin d’être aisé avec la brutalité et le sans-gêne dont font preuve les gros mots. 
Dans ces différentes communautés, il ne faudrait pas confondre les mots crus avec les gros mots car leurs intentions ne sont pas les mêmes. Les mots crus vivent également nus mais tiennent à garder une certaine élégance et ne sont pas là pour salir. Il arrive même qu’ils accompagnent les mots doux pour mettre un peu de piment au corps à corps torride et épicé des amants. Tout est question de dosage et d’accord entre les individus. Pour ce qui est des mots légers, ils flottent dans l’air avec l’ivresse des bulles de champagne et sont un réconfort pour les affligés. 
Il y a aussi les mots dits et les mots tus. Et les mots tus, comme leur nom l’indique, tuent bien souvent à force de n’être pas dits. Et puis, dans cette farandole bigarrée, on trouve également les mots faux et les mots vrais. Ils ne sont pas toujours faciles à distinguer les uns des autres. Les mots faux vivent sur des langues de bois tandis que les mots vrais ont leur place dans le cœur. 
Au sein de cette foule de mots divers, il est parfois difficile de choisir lesquels prononcer et, comme pour l’intention, c’est surtout le ton qui compte, la façon de les dire et la situation présente dans laquelle ils sont formulés.
Dans ce monde de brutes, les mots doux ont la vertu de faire du bien à l’âme. Alors, faisons en sorte de les offrir plus souvent à ceux que nous aimons. Le mot de la fin viendra bien assez tôt.


© Thibault Marconnet

le 13 novembre 2015

Thibault Marconnet, Déchirure des mots II, avril 2010

2 commentaires:

  1. Et après ça, si l'on parlait des gros maux… oui mais avec des mots doux !

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  2. Bonsoir cher Keith, merci pour ta présence ici, ça fait du bien au coeur. Ne jamais perdre le sens du combat et celui de l'humour : tu fais partie de ceux-là et ça réconforte grandement. Les hommes les plus nuisibles à leurs semblables seront toujours ceux qui macèrent dans un esprit de sérieux fanatique.

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