lundi 30 novembre 2015

Victor Segalen : Hommage à la Raison



J’enviais la Raison des hommes, qu’ils proclament peu faillible, et pour en mesurer le bout, j’ai proposé : Le Dragon a tous les pouvoirs ; en même temps il est long et court, deux et un, absent et ici, – et j’attendais un grand rire parmi les hommes, – mais,

Ils ont cru.

J’ai proclamé ensuite par Édit : que le Ciel inconnaissable avait crevé jadis comme une fleur étoilée, lançant au fond du Grand Vide ses pollens d’étés, de lunes, de soleils et de moments,

Ils ont fait un calendrier.

J’ai décidé que tous les hommes sont d’un prix équivalent et d’une ardeur égale, – inestimables, – et qu’il vaut mieux tuer le meilleur de ses chameaux  de bât que le chamelier boiteux qui se traîne. J’espérais un dénégateur, – mais,

Ils ont dit oui.

J’ai fait alors afficher par tout l’Empire que celui-ci n’existait plus, et que le peuple, désormais Souverain, avait à se paître lui-même, les marques de gloire, abolies, reprenant au chiffre un :

Ils sont repartis de zéro.

°

Alors, rendant grâces à leur confiance, et service à leur crédulité, j’ai promulgué : Honorez les hommes dans l’homme et le reste en sa diversité.

Et c’est alors qu’ils m’ont qualifié de rêveur, de traître, de régent dépossédé par le Ciel de sa vertu et de son trône.


Victor Segalen

(in Stèles, p. 51-52)


Victor Segalen

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