mercredi 28 octobre 2015

“The Devil” et “Une jeunesse allemande” : Deux films signés Jean-Gabriel Périot




The Devil est un excellent court-métrage signé en 2012 de Jean-Gabriel Périot, qui, par un montage percutant, nous plonge dans des images d'archives montrant la ségrégation américaine à l'égard des Noirs : la police qui tabasse sans états d'âme hommes et femmes noirs et le combat du Black Panther Party manifestant pour leurs droits à la dignité d'êtres humains. « You must be able to get the gut to say : “We are black, our noses are broad, our lips are thick, our hair is nappy. And we are beautiful !” » ( « Vous devez avoir le cran de dire : “Nous sommes noirs, notre nez est épaté, nos lèvres sont épaisses, nos cheveux sont crépus. Et nous sommes beaux !” »). Cette phrase de Stokely Carmichael devrait résonner haut et fort à l'heure où l'on voit une partie non négligeable de la police américaine continuer d'humilier, de cogner et de tuer des Afro-Américains au seul motif que ceux-ci n'ont pas la chance d'être de bons gros WASP gorgés de bière et de donuts. “Speak white” comme disait Michèle Lalonde en une époque pas si lointaine...









À voir aussi du même réalisateur l'excellent film Une jeunesse allemande , sorti en salles le 14 octobre 2015 : documentaire sans commentaire autre que celui des images d'époque (ce qui est très honorable : les commentaires rétrospectifs ne faisant bien souvent que dire au spectateur ce qu'il “doit” penser) et retraçant le parcours complexe d'une jeunesse allemande déboussolée qui, à l'aube des années 60, voudrait bien en finir avec le lourd héritage nazi de “Papa” mais qui est incapable de sortir de cet “esprit de corps” où le groupe doit toujours primer sur l'individu, et les abstractions sur les réalités concrètes (l'écrivain allemand Sebastian Haffner avait d'ailleurs admirablement mis en lumière, dans son livre Histoire d'un Allemand : Souvenirs 1914-1933, ce caractère “anti-individuel” de l'État allemand). Une jeunesse allemande nous fait suivre, entre autres, le trajet de la journaliste Ulrike Meinhof, de ses débuts engagés et profondément humains pour la cause ouvrière dans la revue Konkret et le lent glissement de terrain qui la conduira à se radicaliser en rejoignant la Fraction armée rouge (la bande à Baader). Ou comment des enfants de bourgeois, tiraillés par leur honte de n'être pas du peuple, se croient investis d'un messianisme pour le moins sanguinaire consistant à faire péter des bombes et à tuer « tous les porcs qui portent un uniforme » et qui sont donc, selon eux, indignes de vivre ; tout cela au nom des classes opprimées pour lesquelles ils prétendent combattre (alors qu'ils s'en foutent royalement). Et puis, franchement, c'est tellement “chic” d'admirer de loin la sinistre révolution culturelle chinoise quand on vit bien à l'abri au sein d'un état somme toute démocratique. 


Face à l'endoctrinement qui conduit au meurtre, il importe de toujours garder à l'esprit les mots de l'humaniste Sébastien Castellion (1515-1563) à propos du fanatisme de Calvin : « Tuer un homme ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme. Quand les Genevois ont fait périr Servet, ils ne défendaient pas une doctrine, ils tuaient un être humain : on ne prouve pas sa foi en brûlant un homme mais en se faisant brûler pour elle. »


© Thibault Marconnet
le 27 octobre 2015

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