The Devil est un excellent court-métrage signé en 2012 de Jean-Gabriel Périot,
qui, par un montage percutant, nous plonge dans des images d'archives montrant
la ségrégation américaine à l'égard des Noirs : la police qui tabasse sans états
d'âme hommes et femmes noirs et le combat du Black Panther Party manifestant
pour leurs droits à la dignité d'êtres humains. « You must be able to get the
gut to say : “We are black, our noses are broad, our lips are thick, our hair
is nappy. And we are beautiful !” » ( « Vous devez avoir le cran de dire : “Nous
sommes noirs, notre nez est épaté, nos lèvres sont épaisses, nos cheveux sont
crépus. Et nous sommes beaux !” »). Cette phrase de Stokely Carmichael devrait
résonner haut et fort à l'heure où l'on voit une partie non négligeable de la
police américaine continuer d'humilier, de cogner et de tuer des Afro-Américains
au seul motif que ceux-ci n'ont pas la chance d'être de bons gros WASP gorgés
de bière et de donuts. “Speak white” comme disait Michèle Lalonde en une époque
pas si lointaine...
À voir aussi du même réalisateur
l'excellent film Une jeunesse allemande ,
sorti en salles le 14 octobre 2015 : documentaire sans commentaire autre que
celui des images d'époque (ce qui est très honorable : les commentaires rétrospectifs
ne faisant bien souvent que dire au spectateur ce qu'il “doit” penser) et retraçant
le parcours complexe d'une jeunesse allemande déboussolée qui, à l'aube des années
60, voudrait bien en finir avec le lourd héritage nazi de “Papa” mais qui est
incapable de sortir de cet “esprit de corps” où le groupe doit toujours primer
sur l'individu, et les abstractions sur les réalités concrètes (l'écrivain
allemand Sebastian Haffner avait d'ailleurs admirablement mis en lumière, dans
son livre Histoire d'un Allemand : Souvenirs 1914-1933, ce caractère “anti-individuel”
de l'État allemand). Une jeunesse allemande nous fait suivre, entre
autres, le trajet de la journaliste Ulrike Meinhof, de ses débuts engagés et
profondément humains pour la cause ouvrière dans la revue Konkret et le
lent glissement de terrain qui la conduira à se radicaliser en rejoignant la
Fraction armée rouge (la bande à Baader). Ou comment des enfants de bourgeois,
tiraillés par leur honte de n'être pas du peuple, se croient investis d'un
messianisme pour le moins sanguinaire consistant à faire péter des bombes et à
tuer « tous les porcs qui portent un uniforme » et qui sont donc, selon eux,
indignes de vivre ; tout cela au nom des classes opprimées pour lesquelles ils
prétendent combattre (alors qu'ils s'en foutent royalement). Et puis,
franchement, c'est tellement “chic” d'admirer de loin la sinistre révolution
culturelle chinoise quand on vit bien à l'abri au sein d'un état somme toute démocratique.
Face à
l'endoctrinement qui conduit au meurtre, il importe de toujours garder à
l'esprit les mots de l'humaniste Sébastien Castellion (1515-1563) à propos du
fanatisme de Calvin : « Tuer un homme ce n’est pas défendre une doctrine, c’est
tuer un homme. Quand les Genevois ont fait périr Servet, ils ne défendaient pas
une doctrine, ils tuaient un être humain : on ne prouve pas sa foi en brûlant
un homme mais en se faisant brûler pour elle. »
© Thibault Marconnet
le 27 octobre 2015
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