Toutes
voiles dehors
Je
me dois de l’avouer, j’avais quelques a priori avant d’écouter cet album posthume. En premier lieu, il faut savoir que cet opus n'a pas pu être achevé par Guillaume Depardieu lui-même. Les maquettes ont été enregistrées par François Bernheim peu de mois avant que le jeune acteur ne trouve la mort. Julie Depardieu savait à quel point son frère tenait à aller jusqu'au bout de cet album et elle a décidé de le faire pour lui, avec l'espoir de ne pas se trouver trop à l'encontre du résultat que celui-ci aurait voulu. Elle fit donc appel à Vincent Segal (excellent violoncelliste) ainsi qu'à Renaud Letang pour composer les arrangements ; et accompagner au mieux cette voix qui est comme la plaie vive et douloureuse d'une brûlure de cigarette à même la peau nue.
Je
ne sais pour quelle raison mais je m’attendais à un album feutré, lisse, sage
(trop sage).
C’était
oublier un peu vite la personnalité flamboyante de l’acteur.
Ici,
nulle place pour la mièvrerie. Ce n’est pas un bonbon qu’on suce : c’est
une lame de rasoir qui nous fouille le cœur.
En
lieu et place de lait, c’est de la cigüe qui s’égoutte de ce sein d’homme
blessé.
Brut
et vénéneux, Post Mortem ne pourra
jamais s’écouter en toile de fond.
Il
y a des feulements de tigre dans la voix de Guillaume Depardieu ; comme
des envies de lacérer la peau du silence.
Sa
puissance vocale est une véritable révélation : ses mots sont des lances
qu’il jette loin en avant de lui.
Aucun
compromis possible pour l’auditeur.
Celui-ci
peut accepter de se plonger dans cette eau trouble où s’étirent quelques
éclaircies, ou bien préférer fuir au loin et jeter la pierre.
Cet
album, toutes voiles dehors, est un voilier à la dérive.
À chacun de sentir s’il est prêt pour accompagner Guillaume Depardieu dans cette
lumière crue, au cœur de cette errance musicale où les accalmies se font rares.
Certaines
chansons cognent comme des coups de poing dans l’estomac : Je mets les voiles ; La
violence ; Ma vérité.
Ecouter
Post Mortem demande une implication
totale ; un peu à la façon dont Guillaume Depardieu habite ses mots :
avec la présence d’un feu qui rougeoie dans le noir.
Fast Food décrit avec une salutaire ironie ce monde
médiocre et prémâché dans lequel nous évoluons :
« Là
où le sang n’est plus qu’une image, / Là où les odeurs ne sont plus ni
violentes, / Ni amères, / Là où seules règnent les tiédasses sucrées, / Les
pensées peroxydées, / Les poitrines en plastique, / Les culs sans odeur, / L’argent
merde / Devenu roi, / Mangeable par l’alchimiste capitaliste / Puant
l’after-shave, / Et les masques odeur, / L’idole sentira l’horreur de la pisse,
/ Il signera ses œuvres, / Peintes au sang et à la merde, / D’un trait. / Où
l’anonyme aura remplacé / La rage d’exister, / La gesticulation absurde, / Puant
la peur, / Aura enfin une éthique / Et des règles. / Seuls les plus forts
survivront, / Le spectacle est réjouissant d’avance. »
Post Mortem est un cri qui reste longtemps dans
l’oreille ; le battement d’un cœur fou : fou de vie.
Au
bout de cette nuit gorgée d’ivresse, de larmes et d’amour, Les mots Samouraï viennent clore cet unique opus avec l’éclat d’une
lame :
« Je
n’ai que les mots tout beaux / Pour dénoncer les mots tout faux, / L’arme des
affamés, / Ceux qui n’ont plus de larmes / Les mots ultra ciselés, / Les métaux
les plus purs, / Pour mieux les transpercer, / Qu’ils puissent mieux rendre
l’âme, / Ces mots faits pour crever […] / Je n’ai que les mots tout beaux /
Pour dénoncer les mots tout faux, / Les mots Samouraï. »
Sur
l’un des premiers feuillets de l’album, on peut lire ces mots manuscrits de
Guillaume Depardieu :
« Chaque
fois que je me quitte,
je
chante et me retrouve !
C’est
par le murmure que
j’éteins
les cris.
C’est
ma rhétorique. »
Tranchant
et cinglant, Post Mortem est un
tesson de verre d’où jaillit un sang d’or.
Bien
que l’homme soit mort, on ne peut enterrer la lumière qui brûlait dans le
corps.
© Thibault Marconnet
30/11/2013
Lien Deezer : Guillaume Depardieu - Post Mortem [2013]
Guillaume Depardieu (photographié lors du tournage du film “Versailles”) |
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