jeudi 29 janvier 2015

Guillaume Depardieu - Post Mortem [2013]




Toutes voiles dehors


Je me dois de l’avouer, j’avais quelques a priori avant d’écouter cet album posthume. En premier lieu, il faut savoir que cet opus n'a pas pu être achevé par Guillaume Depardieu lui-même. Les maquettes ont été enregistrées par François Bernheim peu de mois avant que le jeune acteur ne trouve la mort. Julie Depardieu savait à quel point son frère tenait à aller jusqu'au bout de cet album et elle a décidé de le faire pour lui, avec l'espoir de ne pas se trouver trop à l'encontre du résultat que celui-ci aurait voulu. Elle fit donc appel à Vincent Segal (excellent violoncelliste) ainsi qu'à Renaud Letang pour composer les arrangements ; et accompagner au mieux cette voix qui est comme la plaie vive et douloureuse d'une brûlure de cigarette à même la peau nue.

Je ne sais pour quelle raison mais je m’attendais à un album feutré, lisse, sage (trop sage).
C’était oublier un peu vite la personnalité flamboyante de l’acteur.

Ici, nulle place pour la mièvrerie. Ce n’est pas un bonbon qu’on suce : c’est une lame de rasoir qui nous fouille le cœur.

En lieu et place de lait, c’est de la cigüe qui s’égoutte de ce sein d’homme blessé.

Brut et vénéneux, Post Mortem ne pourra jamais s’écouter en toile de fond.

Il y a des feulements de tigre dans la voix de Guillaume Depardieu ; comme des envies de lacérer la peau du silence.

Sa puissance vocale est une véritable révélation : ses mots sont des lances qu’il jette loin en avant de lui.

Aucun compromis possible pour l’auditeur.
Celui-ci peut accepter de se plonger dans cette eau trouble où s’étirent quelques éclaircies, ou bien préférer fuir au loin et jeter la pierre.

Cet album, toutes voiles dehors, est un voilier à la dérive.

À chacun de sentir s’il est prêt pour accompagner Guillaume Depardieu dans cette lumière crue, au cœur de cette errance musicale où les accalmies se font rares.

Certaines chansons cognent comme des coups de poing dans l’estomac : Je mets les voiles ; La violence ; Ma vérité.

Ecouter Post Mortem demande une implication totale ; un peu à la façon dont Guillaume Depardieu habite ses mots : avec la présence d’un feu qui rougeoie dans le noir.

Fast Food décrit avec une salutaire ironie ce monde médiocre et prémâché dans lequel nous évoluons :

« Là où le sang n’est plus qu’une image, / Là où les odeurs ne sont plus ni violentes, / Ni amères, / Là où seules règnent les tiédasses sucrées, / Les pensées peroxydées, / Les poitrines en plastique, / Les culs sans odeur, / L’argent merde / Devenu roi, / Mangeable par l’alchimiste capitaliste / Puant l’after-shave, / Et les masques odeur, / L’idole sentira l’horreur de la pisse, / Il signera ses œuvres, / Peintes au sang et à la merde, / D’un trait. / Où l’anonyme aura remplacé / La rage d’exister, / La gesticulation absurde, / Puant la peur, / Aura enfin une éthique / Et des règles. / Seuls les plus forts survivront, / Le spectacle est réjouissant d’avance. »

Post Mortem est un cri qui reste longtemps dans l’oreille ; le battement d’un cœur fou : fou de vie.

Au bout de cette nuit gorgée d’ivresse, de larmes et d’amour, Les mots Samouraï viennent clore cet unique opus avec l’éclat d’une lame :

« Je n’ai que les mots tout beaux / Pour dénoncer les mots tout faux, / L’arme des affamés, / Ceux qui n’ont plus de larmes / Les mots ultra ciselés, / Les métaux les plus purs, / Pour mieux les transpercer, / Qu’ils puissent mieux rendre l’âme, / Ces mots faits pour crever […] / Je n’ai que les mots tout beaux / Pour dénoncer les mots tout faux, / Les mots Samouraï. »

Sur l’un des premiers feuillets de l’album, on peut lire ces mots manuscrits de Guillaume Depardieu :

« Chaque fois que je me quitte,
je chante et me retrouve !
C’est par le murmure que
j’éteins les cris.
C’est ma rhétorique. »

Tranchant et cinglant, Post Mortem est un tesson de verre d’où jaillit un sang d’or.

Bien que l’homme soit mort, on ne peut enterrer la lumière qui brûlait dans le corps.


© Thibault Marconnet

30/11/2013




Guillaume Depardieu (photographié lors du tournage du film “Versailles”)

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