Léon Bloy |
Un jour, pour la première fois de
ma vie, j’ai lu un livre de Léon Bloy.
Le jour d’avant je ne le
connaissais pas, sinon – comme on dit – de réputation.
Le jour d’après, je n’étais plus
le même homme.
Le hasard – pour ceux qui croient
à ce dieu d’horloger helvétique ‑ voulut que ce
livre fut sa fameuse Éxégèse des lieux communs, alors que j’en étais
venu, dans un travail parallèle à celui de romancier, à redécouvrir par moi-même,
et avec toutes les tragiques erreurs dont l’autodidacte est capable ‑ par l’inconscience des limites et donc sans la peur ancestrale qui s’y
adjoint ‑, l’usage ô combien martial de l’aphorisme et du court texte critique.
Cette année là, nul ne peut dire
ce que je serais devenu sans cette lecture, mais ce qu’il y a de sûr, c’est que
comme tous les hommes vivant en Occident à cette époque, j’étais déjà un
Bourgeois.
Je vois d’un coup se cabrer la
pensée ténébreuse qui, tel un centaure fulminant sorti du volcan dans lequel
Empédocle se jeta, fait entendre son hennissement furieux, et stupéfait.
Comment ? Un auteur, qui plus est étiqueté cybermachin ou réactionneur métatronique
par la presse aux ordres du langage publicitaire, un auteur, un écrivain
francais ose s’affubler lui-même du pire costume jamais taillé en ce bas monde
pour recevoir le crachat salutaire de la foule ?
Voilà une introduction pour le
moins suicidaire, et qui ne risque pas de porter chance à un homme dont le plus
grand mérite semble être de s’attirer le mépris haineux et fort constant des
chiens de garde de la critique contemporaine.
Mais même si de beaux esprits
iront jusqu’à se fendre de je ne sais quel hystérique tressautement de bedaine
qu’ils osent parer du nom de « rire », ils ne pourront empêcher les écrivains
de poursuivre leur petit manège promo-contestataire, et ils ne pourront empêcher
ce fait incontestable que eux, comme nous, et comme tous les autres, nous
sommes des Bourgeois.
Car nous sommes tous des
Bourgeois. Et tout particulièrement nous, les « écrivains », qu’on me
pardonne de rappeler encore une fois cette méchante évidence. Quelque soit au
demeurant notre « succès », ou notre « talent » c’est-à-dire,
soyons clairs, dans ce monde qui est en effet dominé par l’esprit tutélairede
la marchandise, notre « chiffre de ventes », nous ne pouvons échapper
à l’implacable ontologie qui fait de nous ce que sommes.
Nous sommes tous des Bourgeois.
Car nous sommes tous des Produits de la Bourgeoisie. Et il est rare que nous
osions ne pas nous en féliciter.
Il y a un siècle, Léon Bloy avait
très justement su saisir et définir le Bourgeois non pas comme le représentant
différencié d’une classe sociale particulière, mais comme une nouvelle
typologie générale de l’humanité, comme le moment même où l’humanité pouvait se
réduire à cette typologie.
En cela, et toute l’Exégèse
est fondée sur cette intuition de voyant : sans en avoir le moins du monde
conscience, le Bourgeois profère, à chacun des lieux communs qui encombrent son
langage dominé par l’économie, une vérité fondamentale sur la nature humaine,
et mieux encore sur la Nature Divine.
La cause de cette étonnante
glossolalie à laquelle le Bourgeois se livre quotidiennement se résume précisément,
et c’est tout le génie de Bloy d’avoir su mettre la chose en évidence grâce à
sa haute connaissance de la Tradition scripturale, au fait essentiel que
l’Argent n’est autre chose que l’image réelle de la Seconde Personne de la
Trinité, l’Argent est le Sang des Pauvres, le Sang du Christ, il est à la
fois l’outil du sacrifice et son but, il est – comme le dira Klossowski
quelques décennies plus tard ‑ la Monnaie
Vivante, l’Argent, ou plutôt l’Or, dont il n’est que la face matérielle, la
face correspondant à l’Adam de la Chute, est l’incarnation secrète du Crucifié
dans le Monde : « Il est probable, cependant, que ce mendiant était Jésus-Christ
dont c’est le travestissement ordinaire et qui est signifié symboliquement
par l’argent dans les divines Écritures ‑ c’est moi qui
suis l’Argent, te dira-t-il un jour, et je ne te connais pas. »
Les marxistes croyaient alors que
le prolétariat était la substance et l’avenir des « masses sociales ».
Comme en ce qui concerne les autres points de leur doctrine, ils se trompaient
lourdement là dessus. C’est le « moyen-bourgeois semi-pauvre » qui
est devenu le futur de l’humanité, c’est à dire la substance de notre époque.
Et cet apocalyptique fatum, Léon Bloy, bien des années avant la guerre
de 14-18 – qui allait confondre une première fois la démocratie, la
confondre mais non pas l’inculper ‑ , Bloy disais-je,
en avait deviné l’asphyxiante réalité, il en avait indiqué les termes : Le
Bourgeois achevé, nul autre que le « dernier homme » nihiliste
de Nietzsche, est à ce point dominé par la Technique et ses métaphysiques, qu’en
lui « le langage s’est réduit à quelques locutions patrimoniales qui lui
suffisent » et « dont le nombre ne va guère au-delà de quelques
centaines ».
Mais Bloy s’empresse d’ajouter
aussitôt : « Ah si on était assez béni pour lui ravir cet humble trésor,
un paradisiaque silence tomberait aussitôt sur notre globe consolé ! »
Il signifie bien par-là que cette
terminaison du langage humain, telle qu’elle se révèle dans le langage « économique »
du Bourgeois, n’a d’autre alternative qu’un « paradisiaque silence »,
autant dire le Silence initial de Dieu, le Silence de l’Abîme tel qu’à partir
de lui Dieu put concevoir tous les Noms, dont le Sien.
Aussi le cliché du Bourgeois est
bien évidemment l’expression révélatrice d’une forme de génie, comme
tout cliché (Baudelaire nous rappelle fort à propos cette évidence oubliée que le
génie c’est l’invention du cliché). Mieux encore, il est le cliché suprême
puisqu’il surgit du langage réduit à sa fonction « économique »,
technique, immanente, cliché des clichés il masque en fait la terrible absence
paradoxale de Dieu, cette Présence Ineffable, il révèle par sa simple « existence »
l’irréfragable et monodésique lumière des Vérités ultimes, qui consumeraient
les cerveaux de ceux qui les profèrent si jamais ces derniers se trouvaient
dans la capacité de savoir qu’ils le font :
« Quant un employé d’administration
ou un fabricant de tissus fait observer par exemple : « qu’on ne se
refait pas; qu’on ne peut pas tout avoir; que les affaires sont les affaires,
que la médecine est un sacerdoce; que Paris ne s’est pas bâti en un jour; que
les enfants ne demandent pas à venir au monde; etc, etc, etc, », qu’arriverait-il
si on lui prouvait instantanément que l’un ou l’autre de ces clichés
centenaires correspond à quelque Réalité divine, a le pouvoir de faire osciller
les mondes et de déchaîner des catastrophes sans merci ? ».
Dans son éxégèse LXVII, intitulée
« je ne suis pas un domestique qu’ on nourrit », Bloy ose
commettre un crime impardonnable à l’encontre de l’homme de gauche déjà
universel de son époque, cet acte tabou consiste à dégonfler la baudruche de la
contestation socialiste, c’est-à-dire néo-bourgeoise; il ose en effet y
affirmer, avec la force de conviction qu’on lui connaît, contre tous les préjugés
de sa société, et contre tout ce qu’on pouvait attendre de lui, que le
bourgeois n’est pas le représentant d’une classe sociale déterminée mais un modèle
humain universel, ou plutôt le moment où ce modèle devient l’Universel, voici
ce qu’il dit à ce sujet :
« J’étais impatient d’y
venir. C’est à ce Lieu commun que viennent aboutir tous les filaments, toutes
les filandres de pensées ou de sentiments dont se constitue l’âme du Bourgeois
pauvre. C’est à ce signe qu’on peut reconnaître le monstre. Car il existe,
sorti de la vase, lui aussi, pour dévorer le Bourgeois riche, aussitôt que
prendra fin la septième semaine d’abondance. »
Et il ajoute, non sans une
jouissive méchanceté :
« Il a le genre de laideur
de Barrès auquel il ressemble avec une addition de crasse. Bonne éducation
belge et muflisme aigu. En outre, prétentions à la pensée et à une sorte d’omniscience. »
Le Bourgeois pauvre c’est déjà le
Bourgeois-artiste que Bloy carbonise avec bonheur dans plusieurs autres éxégèses
(comme XXVIII, « être poète à ses heures », CII, « encourager
les Beaux-Arts », CIX, « petit à petit l"oiseau fait son nid »)
ce Bourgeois à mi-temps, ce Bourgeois vacataire, ce Bourgeois de troisième
type, ce Bourgeois-à-la-pige, ce Bourgeois anti-Bourgeois, ce
Bourgeois-rebelle, ce Bourgeois-poète, peintre ou écrivain, et bientôt cinéaste,
musicien, plasticien, ce Bourgeois intellectuel par intérim, journaliste du
dimanche, philosophe de salles de bains (je reste suave et poli), nous l’avons
tous reconnu, c’est nous-mêmes, ce qui n’était encore qu’une tendance
socio-politique parmi d’autres à l’époque de Bloy est devenu l’instance suprême
du monde démocratique post-moderne, sa substance et son télos.
Voyons de plus près comment Bloy
achève son portrait à coups de trique verbale :
« On est informé tout de
suite qu’il sait assez de grec pour traduire au besoin le code civil ou la
table des logarithmes en vers asclépiades ou choliambiques. Il ne sait pas
moins d’hébreu et le syriaque n’a guère de secrets pour lui. Quand au sanskrit,
c’est plutôt sa langue. Il ne fait, d’ailleurs, aucun usage de ces
connaissances précieuses et on s’en étonne. Mais il ne veut pas éblouir, c’est
assez qu’on sache qu’il les possède. »
Le Bourgeois pauvre, ou
semi-pauvre, ce Bourgeois cultivé et instruit, armé de toute la philosophie
allemande contemporaine, et de morceaux de langages, de langages en morceaux,
ce Bourgeois devenu parasite social de la Bourgeoisie, n’en était alors qu’à sa
gestation, ou disons à sa toute récente parturition, mais au cours du XXe
siècle il finirait par se rendre maître de la planète, en l’ayant transformée à
son image : un immense réseau de signes et de marchandises, un corps réduit
à son état de prothèse technique potentielle (clonage, mutations transgéniques,
biocybernétique), un cerveau concu comme « siège de l’esprit » et
comme « machine cognitive » (telle une intelligence artificielle
fonctionnant au silicium et aux algèbres booléens), le monde devenu un
simulateur de pointe. Le projet révolutionnaire est désormais assumé pleinement
par la démocratie technicienne, et s’offrant comme tel au regard de l’Homme, il
lui indique que l’expérience biopolitique moderne n’en est qu’à ses prémisses :
bienvenue dans l’eugénisme cool, avortement de masse et clonage réplicatif au
service d’une « société » complètement dissociée, puisque non seulement
le christianisme y est dissous depuis longtemps, mais parce que il ne s’écoule
pas une demi-génération pour qu’un nouvel humanisme (aujourd’hui le « post-humanisme »)
chasse le précédent (l’humanisme structuraliste et psychanlytique qui lui même
s’était subsitué à l’humanisme moderne, marxiste, ou libéral), à la manière
dont les avant-gardes artistiques artistiques et manifestatoires (tels Breton
et Debord) se sont chassées les unes les autres tout au long du XXe siècle.
Au moment où Bloy commence à s’en
prendre à elle, la République Universelle des Droits de l’Homme n’est pas
encore pleinement installée aux commande de l’orbicule terrestre, mais, dans sa
faconde prométhèenne, elle a d’ores et déjà décrété que telle serait sa charge
désormais, produire un citoyen démocratique mondial techniquement globalisé,
car tel est le destin de l’humanité.
L’humanisme moderne triomphait au
sommet d’un siècle qui avait précisément été surnommé le « siècle
bourgeois » par excellence, le siècle de la pensée bourgeoise, le siècle
de la vie bourgeoise, le siècle de l’univers bourgeois, à tel point que les
prolétaires en révolte contre le Moloch démocratique – mais pour le compte d’un
autre Moloch, encore plus démocratique – ne surent quoi faire de leur prétendue
« liberté » retrouvée, comme à Munich, ou durant la Commune de Paris,
et que lorsqu’il parvinrent à prendre le pouvoir en renversant l’ancienne
autorité, ainsi à Petrograd en 1917, ils ne purent qu’imiter, en l’exaltant, la
pensée bureuacratique et pompière de la bourgeoisie dont ils recréaient,
multipliées à l’infini, les aberrations rationalistes sur les charniers et les
famines collectivisées par le Parti Communiste.
Déjà, à l’époque où Bloy avait décidé
de se porter volontaire pour la Sainte Croisade contre la Bêtise Universelle, déjà,
en cet âge funeste qui enfanta le nôtre tel un monstre gravide de toutes les
perversions futures, oui, déjà, alors qu’on inventait la lampe à incandescence,
le téléphone, et la mitrailleuse lourde, déjà, une colonie de madrépores
infects baignant dans l’eau croupie de la néo-pensée universitaire et
journalistique empestaient l’atmosphère au demeurant fort viciée de la Capitale
de tous les miasmes convolutés leur tenant lieu d’ « opinions » et,
bavant leurs idiomes souffreteux, répétaient tels des coucous d’horloge l’aphorisme
terrible d’un philosophe allemand auquel ils ne comprenaient rien, et qu’ils ne
comprennent toujours pas cent ans plus tard, l’impérissable « Dieu est
mort » de Friedrich Nietzsche.
Déjà à l’époque, ces soudards
mercenaires de la pensée bourgeoise, plongés qu’ils étaient dans l’urinoir
recueillant les effluves qu’exécraient leur vessie, gonflée comme une outre de
tous les graves problèmes engendrés par leur ascension sociale, s’étaient crûs
autorisés à manipuler le langage hautement dangereux du danseur métaphysique de
Sils Maria, comme si l’on pouvait confier du plutonium à un instituteur de la République,
ou à un journaliste de Technikart, déjà à l’époque l’incompréhension et l’effroi
devant ces trois mots terribles avaient conduit certaines de ces raclures de
vomitoire à les considérer, avec l’aplomb qui caractérise le cuistre impotent,
comme l’expression d’on ne sait trop quel « dandysme athée » et à les
assimiler frauduleusement avec la quinquaillerie romantique, voire, pour les
plus irrécupérables crétins, à l’hédonisme libertin !
Pour l’époque qui avait tué
Nietzsche (il faut tuer une pensée si l’on veut pouvoir s’en nourrir, comme le
pense le mécaniste vampire démocrate, alors que toute authentique pensée se
nourrit de vous, vous aspire de l’intérieur et vous vide), pour le Bourgeois de
1900 donc, le Bourgeois républicain, radical-socialiste ou « conservateur »
positiviste, et plus encore pour le néo-Bourgeois socialiste, ou anarchiste, l’assertion
de Nietzsche ne pouvait être entendue qu’au crible morveux présenté par leurs
misérables circonvolutions cérébrales à cet oriflamme de la Vérité, Dieu est
mort : sous-entendez : tant mieux ! Enfin débarassés de ce patriarche
encombrant ! Et maintenant, chacun pour soi.
Déjà, à l’époque, personne n’avait
voulu ou su lire les pages du Gai Savoir ou de Zarathoustra qui pourtant ne
laissent aucune place au moindre doute. Si Nietzsche conclut 25 siècles de métaphysique
occidentale en dégageant comment, et pourquoi, le nihilisme est le moment
historial qui caractérise l’avénement de l’homme-pour-lequel-Dieu-est-mort, et
s’il démontre que du nihilisme passif peut encore surgir une force de dépassement
qui conduit au nihilisme actif, à un dépassement de la métaphysique par ses
fondations présocratiques (ce qu’on pourrait appeler une ontologie concrète),
il n’en reste pas moins vrai qu’à chaque fois qu’il fera allusion à ce concept
de la mort de Dieu, il témoignera pour lui de l’avénement d’une immense
tragédie, de la dernière tragédie à laquelle l’homme se trouve confronté
et dont les conséquences pèsent sur tout son développement futur . Jamais, pour
Nietzsche, comme il le fait dire à son Zarathoustra, jamais un malheur plus
grand n’est survenu sur la Terre.
Et c’est très exactement ce que
disait le très catholique Léon Bloy à la même époque, lui qui épuisa sa vie
entière à faire jaillir de son écriture la Vérité de l’Écriture au milieu de l’infâmie
générale qui déjà programmait les immenses abattoirs industriels de la modernité
absolue, lui qui consuma son existence dans la pauvreté et le travail, et qui,
touchant des salaires de misère comme professeur de boxe, ou mendiant quelques
sous à son entourage, afin d’élever une famille, et l’enfant d’une femme
terrassée par la folie, parvenait, à l’heure où le Bourgeois dort, à produire
les plus hautes pages de style francais de tout son siècle.
Un jour, j’ai lu Léon Bloy.
Je venais à l’époque de m’installer
au Canada. L’Exégèse des lieux communs m’avait happé, et en quelques
semaines je dévorais la quasi totalité de son oeuvre. J’arpentais les
bouquinistes, je hantais les librairies, je traquais les incunables. Tel l’insecte
héliotrope je me dirigeais droit vers la lumière qui devait me consumer.
Il est sans doute imprudent d’oser
déterminer la provenance de la Grâce, quand elle tombe sur vos épaules comme le
souffle lumineux d’une étoile alors invisible. Il n’est pas dans mes cordes de
statuer sur la profondeur du phénomène, sur son intensité propre, sur son
horizon destinal ou sur sa singularité initiale, justement parce que ce
processus est toujours en cours à l’heure où j’écris ces pauvres lignes, et que
déjà il me condamnait au silence à ce sujet, mais s’il faut appeler les choses
par leur nom, et pour un instant déchirer le Saint Voile du Temple, il est tout
à fait évident que Léon Bloy eut une importance décisive pour tout ce qui
concerne ma conversion au christianisme.
Je ne sais si des écrivains de ma
génération peuvent prétendre avoir découvert leur « vocation » littéraire
par un auteur tel que lui, je suis dans l’incapacité de citer un écrivain
francais contemporain que je pourrais d’une facon ou d’une autre rattacher au
Mendiant Ingrat, je veux dire et que l’on comprenne bien ici l’évidence :
au-delà des postures et impostures littéraires. Car chez Léon Bloy, le feu du
style est animé par une unique énergie : il est animé par la foi.
Par la foi en la Sainte Église
Apostolique et Romaine, par la foi en Jésus-Christ.
Fustiger le « Bourgeois »,
y compris en se servant des sublimes « clichés » que seul un
authentique génie comme Bloy pouvait inventer, ne revêt strictement aucun sens
tant que l’on reste soi-même un Bourgeois. Et il ne peut subsister aucun doute à
ce sujet : En cette époque, la nôtre, où tout le monde a fait des études,
où tout le monde est athée, ou tout le monde est positiviste, et républicain
(socialiste ou conservateur), où tout le monde gagne, a gagné ou gagnera de l’argent,
où tout le monde consomme et produit avant tout des « biens culturels »
- notez cette juxtaposition, je vous prie – où tout le monde pense que la
morale est une « question de choix individuel », ou tout le monde
pense que l’homme n’est soumis qu’à ces propres lois, ou tout le monde pense
que tout le monde a des « droits », et les mêmes de surcroît, bref,
pour le Bourgeois de notre époque incomparable, pour le
Bourgeois-de-classe-moyenne-universel, c’est toujours l’autre le Bourgeois.
Notre époque se hait, et déjà se
méprise, avec raison. Le Bourgeois se déteste, et se snobe. Nous nous éxécrons
les uns les autres.
Car nous ne voyons en l’autre que
l’image réticulaire de nous mêmes, nos différences ontologiques sont niées par
la métaphysique de l’égalité et bientôt par les « technologies du vivant »
- notez cette juxtaposition, je vous prie – et bien sûr cette indifférenciation
générale produit son lot de vipérins avortons expulsés en masse par nos
cerveaux malades, parmi eux l’idée que nous pouvons, aujourd’hui, par la seule
prétention de notre volonté, donc en se représentant le monde comme une dialectique
entre Je et l’Autre, être en mesure de nous abstraire de la matrice de
programmation sociale qui est le Monde, ce qui est une pure aberration.
La Matrice Sociale Universelle n’est
pas parfaite, certes, par définition, humaine, trop humaine, elle ne peut
prétendre rivaliser avec Celui dont elle a pris la place, et pourtant jamais
les sociétés n’auront visé à ce point la perfection. la perfection d’elles-mêmes,
comme machineries sociales soi-disant autonomes, et non pas, comme il
est inutile de le rappeler, la recherche de la perfection par les hommes qui la
composent.
Car qui dit recherche de la
perfection pour l’homme, dit mise en place d’une éducation qui privilégie la
seule vraie liberté humaine, celle de se soumettre à Dieu, car seul un homme
libre peut remettre sa liberté à une souveraineté plus haute, et à la plus
haute des souverainetés. Seul un homme libre peut s’en remettre au Christ, au
Dieu vivant, pour s’affranchir de la mort. Car il faut être libre pour s’agenouiller
devant un Dieu crucifié par et pour les hommes.
Aussi un homme libre ne peut se résoudre
à n’être qu’une machine pensante, une « machine cognitive »
comme disent les universitaires de lAn 2000.
Un homme libre est par définition
l’antithèse du Bourgeois terminal que nous sommes tous devenus, en ce début de
XXIe siècle, un homme libre ne désire pas être un produit de la Technique comme
les autres, il refuse d’être « administré » comme du « capital
vivant », il se met au travers de l’asservissement général, en oblique par
rapport à la tension qu’induit la division infinie du travail, il reste
insoumis au régne absolu de l’Homme sans Dieu.
Il est donc chrétien.
Et dans le cas qui nous occupe,
catholique.
Il croit en la Sainte Économie
Divine, et non pas en la démoniaque économie marchande, ce « spectre »
vaudou auquel même le marxisme voua un culte imbécile, il croît donc aux
Miracles, il croît aux apparitions de La Salette, au grand désespoir des
catholiques francais de son temps, déjà contaminés par le poison rationaliste,
et sous les quolibets des autres écrivains de sa triste époque, le plus souvent
républicains bons teints, ou bien socialistes ou, dans le « meilleur des
cas », positivistes, quand ils n’ont pas sombré dans la théosophie et l’occultisme
spirite.
Il va consacrer des années de sa
vie à tenter, en vain, de faire canoniser Christophe Colomb par une Papauté
sourde et aveugle aux manifestations de la Grâce, et déjà prête à se laisser
corrompre par le modernisme idéologique, pour se transformer en congrégation
protestante de plus.
Cela Léon Bloy le voit, il le
sait. Religio depopulata : il invoque les Saintes Écritures et la
foudre vous tombe sur la tête lorsque, un siècle après que sa voix eut résonné
dans le silence stupéfait qui rive l’incompréhension à la bêtise, vous examinez
l’état des lieux dans la communauté catholique d’aujourd’hui. En un éclair vous
comprenez la prédiction de cet entrepreneur en Démolitions qui, comme
toutes les prédictions prophétiques, s’appuie sur la science scripturale :
Les derniers Papes seront ceux qui causeront, ceux qui planifierons la désertification
des églises, et la chute de la religion catholique elle-même.
Le modernisme humanitaire avait
besoin, dès le XIXe siècle, de faire taire cette voix discordante et réactionnaire
qu’était l’Église de Rome alors qu’on réglait, en Occident tout du moins, le
concert enchanteur des peuples et des nations en route vers l’avenir du progrès
humain. L’église catholique de l’époque avait alors, par à-coups, tenté de répliquer
à l’incroyable prolifération des sciences et des techniques que le libéralisme
bourgeois favorisait, par quelques encycliques mal fagotées qui ne répondaient
plus aux abîmes que la Technique marchande ouvrait sous les pieds de l’Homme.
Très vite l’Église fut submergée par les opinions démocratiques de toute la
société, elle tenta d’esquiver les coups, et tout aussi vite, elle se trouva piégée
dans les mauvaises dialectiques que l’ennemi avait installé tout autour d’elle.
Elle tenta une dernière fois de répondre
sur le terrain de l’adversaire, après qu’une première boucherie générale eût
pourtant consumé les rêves grandioses du progrès humain, mais comme, fort étrangement,
le socialisme sortait grand vainqueur de l’épreuve qu’il avait suscitée dans sa
ferveur nationaliste, pour le catholicisme, cette guerre civile européenne que
fut la Première Guerre Mondiale ne fut ni plus ni moins que le début de la fin.
Le processus allait se voir intensifié d’autant plus après la Seconde Guerre
Mondiale, continuité par l’absurde et la démence criminelle de cette Guerre
Civile européenne qui avait commencé en 14, il allait aboutir au Concile de
Vatican II, soit à l’autodissolution de l’Église catholique par l’Église
catholique, à l’extermination de la foi catholique, en douceur, sans même lui
donner l’occasion d’établir contre la démocratie universelle un véritable
martyrologue.
Déjà, en 1900, Léon Bloy prévoyait
la funeste évolution post-concilaire des années soixante et soixante-dix :
la « modernisation des mentalités », qui provoqua la fin de la
foi et de l’Église Romaine, ne résulterait pas d’un affrontement frontal entre
celle-ci et l’idéologie techno-économique, mais en la progressive dissolution,
de l’intérieur, de la première, au bénéfice du simple et terrible pouvoir
dissolvant, désormais sans plus la moindre contrainte, qu’est la seconde.
En 2003, il est devenu impossible
de trouver un prêtre pouvant vous parler des trois conditions nécessaires au
salut, les Églises sont le théâtre de spectacles d’expression corporelle et de
défilés de pancarte contre la mondialisation, il est impossible de différencier
le langage d’un Lustiger (je ne parle pas des Gaillot et consorts, qui ont déjà
institutionnalisé la dévolution interne de la Sainte Église) de celui de la
première secte protestante ou new-age cool venue.
On comprend mieux pourquoi des
populations entières se soient alors converties au bouddhisme, à la Golden
Dawn, au trotskisme, à l’Islam, à Raêl, à l'internationale Situationniste ou
aux Dieux du Foot-Ball, il semble en effet y avoir plus de liturgie dans les
combats de gladiateurs des grands stades modernes, ou dans les luttes
intestines aux avant-gardes esthético-politiques, que dans les rites désacralisées
de l’Église post-concilaire qui ont officialisé, au coeur même de l’Office, l’auto-dissolution
du catholicisme : plus de langue sacrée – interdiction du latin (il
faut le faire !) ‑, messes en langues
profanes ne respectant plus le Missel Romain, Eucharistie bidon puisque la
Messe n’est plus un sacrifice depuis les années soixante, prêtre officiant face
au public, comme un simple pasteur presbytérien, etc, etc.
Aujourd’hui on imagine assez bien
les épithètes qu’on verrait fleurir sur le fumier de la Presse et de l’Opinion
libérales et socialistes ‑ et la
multitude effrénée de toutes leurs chapelles autonomes, rivales, et même en
guerre les unes contre les autres, incapables de dégager un principe unique
et fondateur, très antique preuve de l’hérésie déjà mise en lumière par Saint
Irénée de Lyon ‑, oui, on imagine assez bien la nature pestilentielle de ces borborygmes
qu’on aurait vus flottant mollement à la bouche de leur séides, tels des étrons
à la surface d’un bain de siège sémantique aux émanations tout-à-fait
irrespirables, sous la coupole grise et marbrée d’infections de ces
Water-Closets en forme de Monde où l’écho de leur bavardages logorrhéiques se
perd, d’où il provient, où il retourne, on imagine assez bien, donc, la
consistance visqueuse et purulente des slogans adjectivaux proférés à l’encontre
de sa personne, si la Providence avait voulu que Bloy, tel quel, fut né vers
1950 ou 1960 plutôt que 1846, et que ses premiers textes soient publiés de nos
jours. Intégriste, réactionnaire, fasciste, raciste ? Allez savoir.
Pour peu qu’on revendique haut et
fort son attachement à une certaine lignée de penseurs et d’écrivains, comme
par hasard tous chrétiens romains, la menace n’est pas loin qu’un supplétif racé
des surveillants du grand Parc-à-Thèmes bioculturel, modèle dobermann de
journal, qu’on reconnaît grâce aux jappements caractéristiques qu’il produit
avec la régularité automatique et glacée d’une oeuvre d’art contemporaine– dans
un timbre de pet foireux – et qui animent périodiquement la litanie
neuroprogrammée de la foule devenue souveraine, vous accuse d’être un
collaborateur dans l’âme, un pétainiste qui, au mieux, s’ignore, puis qu’un
Comité d’Épuration de la Nouvelle Société Démocratique Universelle vous fasse
connaître, par huissier de justice accompagné de la Maréchaussée, sa sentence.
Il faut donc, encore et toujours,
oser nommer le danger, oser identifier la dangerosité extrême des écrits de Léon
Bloy, 85 ans après sa mort. Il faut prendre toute la mesure de la menace qu’il
fait peser sur le monde de la Bourgeoisie, sa métaphysique pour commencer :
car la métaphysique du Bourgeois est celle du Néant, sa métaphysique est un
syncrétisme néo-gnostique paré de toute la quinquaillerie philosophique du
XVIIIe siècle (mais peut-on parler d’une philosophie du XVIIIe siècle ?); dans
le monde de la Bourgeoisie Universelle toutes les métaphysiques sont produites
par la seule mécanique organisationnelle du monde, toutes les transcendances
sont rapportées à l’immanence horizontale du soi-disant « monde objectif »,
sur lequel la Bourgeoisie assoit son emprise, et en contrepartie, parce que
toutes les valeurs de la Bourgeoisie sont désormais celles du « renversement
des valeurs » nihiliste, toutes les subjectivités deviennent objectives
dans un Monde qui devient simplement le Processus de la Publicité Générale, le
Processus où la métaphysique devient monde objectif, et où les subjectivités « individuelles »
deviennent les seules sources et destinations de la transcendance immanente au
monde objectif. Le piège gnostique s’est refermé sur l’homme du XXe siècle, sur
son langage, sa pensée.
C’est pour cela que la dangerosité
de Léon Bloy n’est pas feinte, il ne s’agit nullement ici en effet de ma part d’un
jugement esthétique, d’une appréciation littéraire, du fruit d’une reflexion
critique sur son oeuvre, Bloy lui-même n’avait que faire de ces catégories de
la pensée bourgeoise cultivée. Pour lui, l’essentiel était le Catholicisme. Sa
prose n’a pas eu d’autre ambition que d’enflammer la Cité Moderne, la Cité
Républicaine et Laïque, par le feu grégeois de son verbe, dont il savait qu il
lui fallait d’abord le taire, pour que s’inscrive en lui l’ardente lumière du
Verbe divin.
Bloy ne prétendait aucunement maîtriser
le Langage, à l’inverse des armadas de crétins qui, hier comme aujourd’hui,
commettent en toute impunité ces crimes hideux contre la pensée. Il savait qu’on
ne peut rien faire d’autre que, dans le meilleur des cas, se mettre à Son
Service et que le vocabulaire – qui chez lui s’apparente à un authentique
arsenal linguistique – n’est rien s’il n’est pas fait de l’acier dont on forge
le Glaive de la Vérité.
Et de Vérité, faut-il le
rappeler, il n’y en a qu’Une, bien sûr.
Comme tous les authentiques
dandys de la littérature francaise, tel Barbey d’Aurevilly, ou Ernest Hello, qu’il
côtoya longuement tous deux, Bloy était pauvre, et chrétien. Ou dirais-je
pauvre, car chrétien ? Car dans le monde de la Bourgeoisie Industrielle
triomphante, la seule aristocratie concevable, la seule noblesse possible ne
consiste pas à imiter Châteuabriand ou Lamartine, ni toute cette infâmie qu’on
nomma la noblesse d’Empire, la seule alternative décente, la seule ligne de
fuite pouvant conduire à un autre horizon destinal que l’asservissement général
à la marchandise et à la Grande-Mère Technique, la seule porte de sortie
valable réside dans les valeurs chrétiennes les plus antiques, les plus
traditionnelles, dans la foi catholique, et dans une inévitable pauvreté économique
(y comprise au sens relatif, Barbey d’Aurevilly n’était pas exactement misérable,
mais il est mort sans laisser d’héritage financier notable, car il ne
gagnait que fort peu d’argent), conséquence de ce que l’Argent, le Sang
des Pauvres, est désormais propriété du Bourgeois d’affaires ou d’administration
et qu’il n’est plus, du coup, le symbole vivant du Verbe incarné, maintenu
comme tel par une hiérarchie écclésiale et politique dévouée à Son Service.
Pourtant Bloy ne cesse d’insister
là-dessus : L’Argent, en dépit des manipulations que la Bourgeoisie
(concue comme néo-typologie humaine) lui impose, en dépit de son détournement
diabolique (dia-bolein, la Technique est une opération ontologique, une
opération de division dynamique infinie), ou plutôt en dépit du fait que
la Bourgeoisie est parvenue, grâce à son Pacte avec la Technique Séparée,
à créer un Monde dans lequel la face matérielle de l’Or est intronisée Démiurge,
en dépit du fait que le faux monde que la technique bourgeoise a élaboré est précisément
concu à partir de cette vision démiurgique et crypto-gnostique de l’Homme, que
le XVIIIe siècle aura imposé à une Église déja impotente, l’Argent, donc, en dépit
de tout cela, reste, de facon immuable, par-delà les murs du sommeil de l’hypnose
générale, le paradoxal symbole concret du Corps du Christ.
C’est que le faux monde de la
bourgeoisie, presque analogue à celui des Manifestations Divines (mais
seulement presque) peut bien s’intercaler entre ces dernières et nous, à
la manière d’un .écran quadridimensionnel, de toute l’apparente puissance
que des forces occultes lui ont prodiguées, il n’en reste pas moins que le seul
Monde Réel, le Monde de la Création, persiste, immuable, de l’autre côté de l’écran,
en cohérence avec ses propres Lois, qui continuent d’articuler en secret les
dialectiques oiseuses ayant remplacé dans nos crânes les antiques constellations,
car de tous temps ces Lois leur ont été supérieures, transcendantes,
transfinies. Le Diable n’existe qu’en tant qu’Illusion Suprême, car si Ange il
a été créé, Ange il reste, mais Ange déchu dans l’Ordre de la matière, donc
simple spectre, dont les seuls pouvoirs proviennent de tous ceux que l’Homme,
sa proie, son écologie, lui concède, en échange de la même illusion dont
cependant Satan reste le maître.
Voici donc pourquoi votre fille
est muette, voici pourquoi Léon Bloy est vivant :
Léon Bloy est vivant parce que la
Mort n’existe pas.
Peu lui importe, je crois, de
savoir que ces livres seront à nouveau lus par une clique de journalistes
culturels en panne d’icônes vachement tendance ni que des oxymorons sentencieux
fleurissent autour de sa tombe, redécouverte par quelque magazine littéraire
sous la mauvaise herbe des idéologies, et la rouille du siècle. Peu lui
importe, j’en suis sûr, les jugements d’une critique bourgeoise dont il disait
ceci, dans son éxégèse CLXX, la critique est aisée mais l’art est difficile :
« Je ne suis pas sûr que le Bourgeois se ferait couper en morceaux pour
soutenir que l’Art est difficile, mais je sais qu’il veut que la critique soit
aisée, et même la chose du monde la plus aisée… et si jamais un critique fut à
son aise, n’est ce pas lorsque la Providence lui accorda de déposer son crottin
sur l’auteur de ces humbles pages ? »
Peu lui importe, en effet, de
croiser, par une tragicomique fatalité de l’Histoire, la même race de cuistres
pédants et de ruminateurs stériles que celle qu’il supporta du mieux qu’il put « de
son vivant », car puisque précisément il est vivant, il assiste en
même temps à l’incroyable miracle que sa littérature opère dès maintenant sur l’esprit
de quelques explorateurs inconscients, ou tempéraments téméraires, qui ont crû
qu’en empruntant avec lui le Sentier qui mène à la Montagne Terrible, on ne
risquait pas grand chose, et en tout cas pas le plus important.
Le Golgotha, c’est le contre-pôle
christique du Sinaï. Sur l’un, Dieu descendit sous la forme d’un buisson ardent
et donna aux hommes le Langage de la Loi., il leur ouvrit les portes du Logos,
mais leur fit conserver un Voile occultant le Saint des Saints.
Sur l’autre, Dieu retourna au
Ciel sous la forme du Christ ressuscité dans Sa Gloire, le Voile du Temple en
tomba, déchiré, le Logos fut depuis lors le plus grand risque jamais pris par
Dieu au sujet de l’Homme, et le plus grand risque jamais pris par l’Homme au
sujet de Dieu.
À l’heure où j’écris ces lignes,
alors que ma faim et ma soif demeurent toujours inassouvis, alors que j’erre
dans un Monde non seulement sans Dieu, mais sans plus la moindre Église, je
parle ici d’une institution sacrale et métapolitique capable de continuer à
donner un sens à l’Homo Universalis plongé dans l’Abîme de la Technique, Dieu
soit loué il reste encore les traces matérielles du christianisme romain :
les églises, les nefs, les vitraux et les icônes de la Vierge Marie, alors donc
qu’on a fait de moi, comme Joyce le disait à son propos, un catholique
errant, je sais fort bien pourquoi j’ai la preuve que Bloy est vivant :
si une poignée de livres sont capables, à un siècle de distance, d’embraser la
conscience d’un homme qui ignorait alors jusqu’au premier atome de Vérité
Principielle, et qui bien sûr l’ignorait, si ces livres, parce qu’ils sont bien
le face à face de deux esprits par delà l’espace et le temps, ont pu
transporter le Feu du Logos d’un cerveau à un autre, alors il faut bien se
rendre à l’évidence qu’aucun de ces cerveaux ne peut se prétendre plus vivant
que l’autre, ou plus exactement : que si l’un peut effectivement prétendre
à ce titre, ce n’est pas celui auquel on pense d’un premier abord.
Montréal, le 6 juin 2003
Maurice G. Dantec
Maurice G. Dantec |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire