»Niemand knetet uns wieder aus Erde und Lehm,
niemand
bespricht unsern Staub.
Niemand.
[…]
Gelobt seist du, Niemand.«
(« Personne ne nous pétrira de nouveau de terre et d’argile,
personne
ne soufflera la parole sur notre poussière.
Personne.
[…]
Loué sois-tu, Personne. »)
Paul Celan
(in Psalm / Psaume,
traduction de Jean-Pierre Lefebvre)
« La griffe du désert est tatouée dans mon cœur /
En mal de grands espaces / Au jour le jour prise de terre… » C’est sur ces
mots que s’ouvre l’album intense et nécessaire de Sinaï : projet de
Guillaume Chevreau (à la voix) et Alexandre Zaré (à la guitare).
Si je devais partir en exil pour le Mont Sinaï, je sais
quelle musique accompagnerait mes pas, quelle pulsation résonnerait dans mes
oreilles ainsi que des artères de tambours frottées les unes contre les autres.
Au milieu du sable du désert, la peau brûlée, passée au fer rouge et jaune du
soleil, j’aurais une voix amie pour me tenir compagnie, pour n’être pas seul.
Dans cette œuvre, pas de nouvelles Tables de la Loi à
briser, mais le rayonnement de six morceaux de jour et de nuit, six offrandes
de chair. Car, pour reprendre les mots pénétrants du poète mystique persan
Djalâl ad-Dîn Rûmî, “la parole est un morceau de chair”. Six jours pour
escalader Sinaï et contempler un horizon de ruines. Six escales pour partir en quête
d’un espace où reprendre corps – et conjurer la froideur d’un monde en cendres.
Nul ne sait quand se lèvera l’aurore du septième jour. Qu’importe. Sinaï n’est
pas là pour attendre la venue d’un incertain soleil levant mais bien pour
marteler jusqu’à plus souffle l’enclume du silence. Comme l’écrivait Ernest
Hello : « La Parole est un acte. C’est pourquoi j’essaye de
parler. »
La voix de Guillaume Chevreau, je la sens incarnée,
présente, là, toute proche. Malgré le climat tourmenté des morceaux qui
jaillissent dans un fracas de tessons de verre, son timbre est rassurant :
c’est la voix d’un grand frère qui, dans le noir le plus complet, nous dirait
que la lumière finira bien par percer la robe sale des ténèbres et boutera le
feu à la nuit des âmes mortes.
Les doigts littéralement saisis dans leur “prise de
terre”, je sens un courant électrique m'émouvoir au plus profond. Passe un
souffle de colère, un élan vital, quelque chose de très ancien comme d'avant la
venue du langage dans la bouche des hommes : ce sentiment est tout
particulièrement sensible avec Your Mind (où Guillaume fait hululer ses cordes
vocales ainsi que la gorge habitée d’un chaman).
Il y a dans Sinaï comme un appel à l'existence, une
envie de cogner dans l'indifférence d'un monde froid et déshumanisé. C'est sans
concession, à prendre ou à laisser, à accueillir ou à rejeter, à boire ou à
cracher. Et je l'accueille pleinement cet univers, parce que je m'en sens
infiniment proche.
Par associations, les noms de quelques pairs, quelques
frères sont venus s’imposer à mon esprit : Michel Cloup, Arnaud Michniak,
Serge Teyssot-Gay, Bertrand Cantat, Mendelson... On a sans doute déjà dû leur
citer ces noms. Il n’y a là en tout cas aucune “assimilation” ou “réduction”
quant au monde musical qu'Alexandre et Guillaume construisent avec Sinaï :
cosmos qui n'appartient qu'à eux et qui ne peut nullement être réduit à des
comparaisons (aussi flatteuses soient-elles).
Nous avons tous des êtres, des
artistes dont nous nous sentons particulièrement proches, comme s'ils faisaient
partie d'une famille secrète au sein de laquelle nous éprouvons le sentiment
d'être enfin écoutés, compris. Parmi les membres de cette famille cités plus
haut, Sinaï a trouvé sa place. C’est une matrice dans laquelle je puise un
second souffle pour continuer d'avancer encore et toujours… pour que le Lever du corps soit, chaque matin, un peu moins pénible. Car,
ce qui importe n’est pas le départ ni même l’arrivée. L’essentiel est dans le
mouvement précaire et passionnant de toute traversée. Belle et longue route à
vous, frères humains !
© Thibault Marconnet
le 08 décembre 2014
Tracklist :
01 - Griffe
02 - Le Chien
03 - Exil
04 - Your Mind
05 - Lever du corps
06 - [Grif]
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